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Cour supérieure australienne, le Ministère de l’Immigration et des Affaires ethniques c. Teoh, 7 avril 1995, (1994) 128 À.L.R. 353

Pays:
Australie
Sujet:
Type d’utilisation du droit international:
Interprétation du droit national à la lumière du droit international
Type d’instruments utilisés:

Traité ratifié1

Demande du statut de résidence par un immigrant/ Prise en compte par l’administration d’une convention ratifiée mais non incorporée dans l’ordre juridique interne

Un citoyen malaisien, détenteur d’un permis de séjour temporaire, s’était marié avec une citoyenne australienne puis était devenu le père de plusieurs enfants. Sa demande de statut de résidence avait été refusée par le Ministère de l’immigration sur le fondement de son casier judiciaire. L’intimé a contesté cette décision administrative devant la justice.

La Cour supérieure australienne s’est demandée si l’administration aurait dû, pour statuer sur cette demande de statut de résidence, prendre en compte les principes contenus dans la Convention relative aux droits de l’enfant, ratifiée par l’Australie mais non encore incorporée à son ordre législatif interne. La prise en considération de la convention aurait en effet pu avoir un impact positif sur la demande de l’intimé2. La Cour a conclu par l’affirmative et a déclaré que l’administration devait réexaminer la demande à la lumière des principes de la convention.

Pour aboutir à cette conclusion, certains juges de la Cour se sont prononcés sur la valeur juridique en droit interne des traités ratifiés par l’Australie mais non incorporés à son ordre juridique national. Ces juges ont alors établi qu’en l’absence d’incorporation, les traités ratifiés pouvaient cependant exercer une double influence sur la législation nationale: d’une part, comme instruments interprétatifs des actes législatifs et, d’autre part, comme guides pour le développement des règles de common law déjà existantes.

«Les dispositions d’un traité international auquel n’appartient pas l’Australie ne font pas partie du droit australien tant que les dispositions de celui-ci ne sont pas intégrées dans notre droit national par décret. (…) Toutefois, la non intégration d’une convention dans le droit australien ne signifie pas que sa ratification n’a aucune conséquence sur celui-ci. Lorsqu’un décret ou une loi sont ambigus, les instances judiciaires devraient favoriser une interprétation qui soit en accord avec les obligations auxquelles a souscrit l’État australien en devenant partie à une convention internationale, à tout le moins dans les cas où une législation est adoptée après ou en conséquence de l’entrée en vigueur ou de la ratification d’un instrument international. Il est en effet possible de considérer que le Parlement a pour intention, à première vue, de donner effet aux obligations de l’Australie en vertu du droit international. (…) Si les termes d’un acte législatif sont susceptibles d’une interprétation qui soit compatible avec les termes d’un instrument international et les obligations qu’il fait naître pour l’État australien, cette analyse devrait prévaloir.»

Quant au rôle des conventions internationales ratifiées par l’Australie mais non incorporées par celles-ci dans son ordre juridique interne en matière de développement des règles de common law déjà existantes, les juges ont ajouté:

«Les dispositions d’une convention internationale à laquelle est partie l’Australie, et plus particulièrement si celle-ci concerne les droits fondamentaux, peuvent être utilisées par les juridiction nationales comme guide pour développer les règles de common law. Les cours doivent cependant agir en ce sens avec circonspection lorsque le Parlement n’a pas introduit les dispositions d’une convention dans le droit national. Le développement judiciaire de la common law ne doit pas être utilisé pour intégrer dans la législation australienne une convention non incorporée dans celle-ci.»

La Cour supérieure australienne a donc conclu que l’administration devait réexaminer la demande de statut de résidence de l’intimé en prenant en compte la Convention relative aux droits de l’enfant.


1 Convention relative aux droits de l’enfant, 1989.

2 Article 3 1) de la Convention: «Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.»

Article 9 1) de la Convention: «Les États parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Une décision en ce sens peut être nécessaire dans certains cas particuliers, par exemple lorsque les parents maltraitent ou négligent l’enfant, ou lorsqu’ils vivent séparément et qu’une décision doit être prise au sujet du lieu de résidence de l’enfant.»

Texte intégral de la décision