Cour suprême de Géorgie, D.B c. Université d’État de Tbilissi, 2 octobre 2014, affaire n° AS-106-101-2014
Géorgie
Licenciement
Interprétation du droit national à la lumière du droit international
Traités non ratifiés1; instruments non soumis à ratification2
Licenciement motivé par la conduite du travailleur/ Règles de procédure/ Interprétation du droit national à la lumière du droit international
M. B. D., qui occupait le poste de responsable du département de supervision à l’Université d’État de Tbilissi, a été licencié. L’employeur a résilié son contrat de travail alléguant que les 23 et 24 août (plusieurs jours avant le licenciement), le travailleur s’était absenté de son travail sans motif valable. Le tribunal de la ville de Tbilissi et la cour d’appel de Tbilissi ont tous deux rejeté la demande de B. D. de réintégration et de dédommagement pour perte de revenus. B. D. a interjeté appel devant la Cour suprême de Géorgie.
La Cour suprême devait déterminer si le licenciement était motivé par une raison valable et était légal. La Cour suprême a examiné deux questions, concrètement si l’absence du travail pouvait constituer un motif suffisant de licenciement et s’il était permis de licencier un travailleur sans préavis ni avertissement et sans lui permettre de s’expliquer sur les allégations formulées.
En analysant ces questions, la Cour suprême a fait référence à l’article 1, paragraphe 1, du Code du travail géorgien, qui stipule que le «Code du travail réglemente l’emploi et les relations qui en découlent sur le territoire de Géorgie qui ne sont pas réglementés par un traité international ou une loi spéciale». En vertu de cette clause, la Cour suprême a renvoyé à la convention (n° 158) de l’OIT sur le licenciement, 1982 et a déclaré:
«Bien que cette convention ne soit pas ratifiée par la Géorgie, il convient de prêter une attention particulière à ses exigences, à des fins d’interprétation. En outre, […] la législation du travail en Géorgie ne contredit pas les exigences de la convention et respecte [cette convention]. En effet, selon l’article 4 [de la convention], un travailleur ne devra pas être licencié sans qu'il existe un motif valable de licenciement lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service. En outre, aux termes de la convention, un travailleur ne devra pas être licencié pour des motifs liés à sa conduite ou à son travail avant qu'on ne lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées (article 7). L’article 11 est également important, et stipule qu’un travailleur aura droit à un préavis d'une durée raisonnable ou à une indemnité en tenant lieu, à moins qu'il ne se soit rendu coupable d'une faute grave, c'est-à-dire une faute de nature telle que l'on ne peut raisonnablement exiger de l'employeur qu'il continue à occuper ce travailleur pendant la période du préavis. Il convient également de tenir compte, en plus de cette convention, de la recommandation (n° 166) de l’OIT sur le licenciement, 1982. Cette dernière précise les exigences fixées dans la convention et est de nature non contraignante. Selon cette recommandation, un travailleur ne devrait pas être licencié pour une faute qui, aux termes de la législation ou de la pratique nationales, ne justifierait le licenciement que si elle était répétée à une ou à plusieurs reprises, à moins que l'employeur ne lui ait donné, par écrit, un avertissement approprié (article 7). Aux termes de cette même recommandation, un travailleur ne devrait pas être licencié pour insuffisance professionnelle, à moins que l'employeur ne lui ait donné les instructions appropriées et ne l'ait dûment averti par écrit et que le travailleur continue à ne pas s'acquitter de son travail de manière satisfaisante après l'expiration d'un délai raisonnable qui devrait lui permettre d'y parvenir (article 8).
Par conséquent, compte tenu des dispositions précisées, il est clair qu’en cas de faute et/ou d’insuffisance professionnelle du travailleur eu égard à ses obligations professionnelles, ce dernier ne pourra être licencié, en tant que mesure sévère, que si certaines conditions procédurales préalables sont respectées. La faute grave est l’exception […]. C’est le cas, par exemple, lorsque le dommage causé par le travailleur à l’entreprise est très grave […]. La chambre de cassation précise que la convention et la recommandation, mentionnées ici en exemple, définissent la norme élevée de protection des employés telle que définie par les traités internationaux ratifiés par la Géorgie et cités dans le présent arrêt.»
Partant, la Cour a conclu que l’absence du travail (durant quelques jours seulement), même sans motif valable, ne constituait pas un motif légitime de licenciement. Il convient également de déterminer, en plus de l’absence de travail elle-même, l’impact de cette faute sur l’employeur. En conséquence, la nature du travail devrait être prise en considération et il convient de déterminer s’il était raisonnable d’avoir recours au licenciement sans préavis et sans avoir permis au travailleur de s’expliquer sur les allégations formulées, et si la mesure prise (le licenciement) était proportionnelle au degré de faute.
La Cour suprême a également abordé la question de la charge de la preuve concernant la justification de la résiliation et a interprété l’article 102 du Code de procédure civile de Géorgie à la lumière de l’article 9, paragraphe 2, point a), de la convention n° 158 de l’OIT. Elle a conclu que le plaignant et le défendeur devraient apporter des preuves de leurs positions.
Ayant établi que les tribunaux inférieurs n’avaient pas analysé et évalué les circonstances factuelles de l’affaire, la Cour suprême de Géorgie a décidé de renvoyer l’affaire à la Cour d’appel de Tbilissi, une décision fondée sur les arguments juridiques que la Cour suprême a formulés et discutés à la lumière des normes de l’OIT sur le licenciement.
1 Convention (n° 158) de l’OIT sur le licenciement, 1982; Charte sociale européenne; Déclaration universelle des droits de l’homme; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
2 Recommandation (n° 166) de l’OIT sur le licenciement, 1982.