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Cour européenne des droits de l’homme, Première section, Kiyutin c. Russie, 10 mars 2011, Requête n° 2700/10

Cours:
Cour européenne des droits de l’homme
Sujet:
Protection contre la discrimination dans l’emploi et la profession
Type d’utilisation du droit international:
Interprétation du droit européen des droits de l’homme à la lumière du droit international
Type d’instruments utilisés:

Recommandation de l’OIT1

Refus de délivrance d’un permis de séjour à un ressortissant étranger sur la base de son statut VIH/ Interprétation de la Convention européenne des droits de l’homme à la lumière du droit international

Le requérant vint s’installer en Russie d’Ouzbékistan et sollicita un permis de séjour. À cette occasion et en vertu de la loi sur la prévention du VIH de 1995, il fut invité à produire une preuve de sa non-infection par le virus. Il se soumit à un examen médical qui révéla sa séropositivité. Sa demande de permis de séjour fut refusée.  En avril 2009, le requérant sollicita à nouveau un permis de séjour, qui lui fut refusé. Le Service fédéral des migrations considéra que le requérant séjournait irrégulièrement en Russie, lui infligea une amende de 2 500 roubles russes et lui enjoignit de quitter la Russie dans un délai de trois jours, sous peine d’expulsion.

Le requérant contra cette injonction en introduisant une requête devant le tribunal de district. Ce dernier rejeta le recours du requérant, estimant que le refus de lui accorder un permis de séjour était justifié par sa séropositivité. Le requérant fit en vain appel devant la cour régionale.  Il entama alors une procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme (« CEDH ») contre la Fédération de Russie, arguant que la décision de lui refuser l’autorisation de résider en Russie était discriminatoire et disproportionnée face à l’objectif légitime de protection de la santé publique, le privait de son droit de vivre avec sa famille et violait donc l’article 14 (considéré avec l’article 8) de la Convention européenne des droits de l’homme.

La CEDH nota qu’« en l’absence de reconnaissance d’un droit de s’installer à l’étranger par le droit international, les restrictions au voyage ne seraient pas en soi illégitimes, sous réserve qu’elles soient appliquées de façon neutre. Toutefois, celles qui réservent aux personnes vivant avec le VIH un traitement différencié sans justification objective iraient à l’encontre des normes antidiscriminatoires. »2

La Fédération de Russie avança le principe que la loi empêchant aux personnes séropositives d’être éligibles pour un permis de séjour était justifiée par des considérations de santé publique imposées par la pandémie de VIH.

La CEDH estima que cette loi ne reflétait pas l’existence d’un consensus européen établi et que cette politique ne trouve guère d’appui parmi les États membres du Conseil de l’Europe.3

La CEDH rappela qu’elle:

« dit invariablement devoir prendre en considération les instruments et rapports internationaux pertinents pour interpréter les garanties offertes par la Convention et déterminer s’il existe dans le domaine concerné une norme commune. »4

Dans ce contexte, la Cour observa que:

«…l’Organisation mondiale de la santé a dénoncé l’inefficacité des restrictions aux voyages quant à la prévention de la propagation du VIH (Rapport sur la consultation sur les voyages internationaux et l’infection au VIH5, 2-3 mars 1987). Depuis lors, le Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme (voir les extraits des directives internationales sur le VIH/sida et les droits de l’homme reproduits au paragraphe 34 ci-dessus), l’Organisation internationale pour les migrations (voir la Déclaration de l’ONUSIDA et de l’OIM, citée au paragraphe 33 ci-dessus), le Haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (Note sur le VIH/sida et la protection des réfugiés, des déplacés internes et des autres personnes relevant de la compétence du HCR, 2006), la Banque mondiale (Considérations juridiques sur le VIH/sida, 2007) et, plus récemment, l’Organisation internationale du Travail (Recommandation (n° 200) concernant le VIH et le sida et le monde du travail, 2010) se sont ralliés à cette position. »6

Se fondant ainsi sur la recommandation n° 200 de l’OIT pour interpréter les articles 8 et 14 de la Convention européenne, la Cour détermina que, si la protection de la santé publique est un but parfaitement légitime, le gouvernement russe n’a avancé aucun argument décisif et objectif propre à démontrer que ce but pouvait être atteint en l’espèce par le refus de délivrer un permis de séjour au requérant en raison de son état de santé, et nota la position de celui-ci selon laquelle le requérant pouvait continuer à vivre en Russie avec sa famille pour autant que ses séjours ne dépassaient pas une durée de 90 jours consécutifs. La Cour arrêta que « le gouvernement a outrepassé la marge d’appréciation étroite dont il bénéficiait en l’espèce. Il s’ensuit que le requérant a été victime d’une discrimination fondée sur son état de santé, au mépris de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 », et accorda au requérant 15 000 euros pour le dommage.


1 Recommandation (n° 200) de l’OIT concernant le VIH et le sida et le monde du travail, 2010.

2 Paragraphe 48 of the decision.

3 Paragraphe 65 de la décision.

4 Paragraphe 67 de la décision.

5 Paragraphe 67 de la décision.

6 Paragraphe 74 de la décision.

Texte intégral de la décision