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Cour suprême, Aníbal Raúl Pérez c. Disco S.À., 1er septembre 2009, P. 1911. XLII

Constitution nationale de l’Argentine

Article 31

La présente Constitution, les lois de la Nation adoptées en sa conséquence par le Congrès et les traités signés avec les puissances étrangères forment la loi suprême de la Nation; les autorités de chaque province sont tenues de s’y conformer, nonobstant toute disposition contraire contenue dans les lois ou constitutions provinciales sauf, pour la province de Buenos Aires, les traités ratifiés après le Pacte du 11 novembre 1859. 

Article 75, paragraphe 22

(…) Les traités et concordats possèdent un rang supérieur aux lois. Dans leurs conditions d’application, la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme; la Déclaration universelle des droits de l’homme; la Convention américaine relative aux droits de l’homme; le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels; le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et son protocole facultatif; la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide; la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale; la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes; la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et la Convention relative aux droits de l’enfant ont rang constitutionnel, ne dérogent à aucun article de la première partie de la présente Constitution et doivent être considérés complémentaires des droits et garanties reconnus par celle-ci. (…)

Pays:
Argentine
Sujet:
Protection des salaires
Type d’utilisation du droit international:
Résolution directe du litige sur le fondement du droit international
Type d’instruments utilisés:

Traités ratifiés;1 instruments non soumis à ratification;2 travaux des organes de contrôle internationaux3

Concept et nature juridique de la rémunération/ Bons alimentaire inclus dans le paiement/ Prestations sociales pour les travailleurs/ Résolution directe du litige sur le fondement du droit international

Un travailleur a introduit une demande en justice pour que les bons alimentaires que lui donnait son employeur soient pris en compte dans le calcul des indemnités dues pour licenciement abusif, en considérant qu’ils font partie de sa rémunération. Dans la décision rendue en première instance, la demande avait été reconnue, mais la décision fut annulée par la Cour d’appel nationale du travail. Cette Cour soutint que le calcul était basé sur une norme édictée par le Congrès, qui autorise les employeurs à reconnaître certaines prestations sociales pour les travailleurs, dans le but d’améliorer leur qualité de vie, sans que cela fasse partie de la notion de rémunération. La Cour ajouta que cette norme ne violait pas la Constitution.

Néanmoins, la Cour suprême s’est écartée du raisonnement antérieur, en déclarant qu’il ne s’agissait pas du fait que le législateur n’ait pas la possibilité « d’accorder des prestations sociales », mais que de cette manière, on ne pouvait pas prétendre modifier « la nature juridique de ce qui est propre à la contrepartie ».

La Cour a analysé la validité constitutionnelle de l’article 131 de la loi 24700, qui a servi de fondement aux « prestations sociales » et les excluait de la notion de rémunération. Pour procéder à cet examen, la Cour s’est référée à l’article 14 de la Constitution et au principe de protection reconnu dans celle-ci, et l’a associé à différents instruments internationaux, en déclarant que ceux-ci contenaient les droits qui devaient être respectés par le législateur. La Cour a déclaré que « la nature juridique d’une institution devait être définie, fondamentalement, par les éléments qui la constituent, quel que soit le nom que le législateur ou les individus lui attribuent » et elle s’est référée notamment à la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme, à la Déclaration universelle des droits de l’homme, au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (plus précisément aux articles 6 et 7) et à la Déclaration de Philadelphie de l’OIT (1944). D’après cette analyse, la Cour a conclu que les bons alimentaires constituaient effectivement une rémunération pour le travailleur :

« Il convient d’examiner attentivement les articles 6 et 7 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Attendu qu’ils sont "interdépendants"4, ils établissent très simplement et clairement des règles déterminantes qui permettent d’expliciter la notion susmentionnée et, en fin de compte, de résoudre la présente affaire. En effet, le premier article établit que le droit au travail « comprend le droit qu’à toute personne d’obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail [...] » (alinéa 1, italiques ajoutés) et, lorsque cette possibilité se concrétise par un travail dans une relation de dépendance, le deuxième article qualifie de "salaire" ou "rémunération" la prestation due par l’employeur à l’employé. Par conséquent, il y a lieu de conclure qu’il est inadmissible de ne pas prendre en compte dans ces dénominations une prestation qui, comme les bons alimentaires en question, implique sans équivoque un « gain », et est fondée, tout aussi clairement, sur le contrat susmentionné ou la relation de travail, ou en découle. »

La Cour a déclaré que le contenu des garanties constitutionnelles ne pouvait pas être modifié par la volonté du législateur ni par celle de l’employeur. Elle a indiqué que le cadre de réciprocité du contrat de travail devait être régi par le principe de justice sociale et que tout ce qui concernait le salaire dépassait les limites imposées par les règles du marché du travail et soumettait celui-ci aux exigences supérieures de la protection de la dignité de la personne et du bien commun. La Cour a présenté une réflexion sur la justice sociale, dans laquelle elle s’est référée à la Déclaration sur la justice sociale de l’OIT :

« La justice sociale est incontestablement la valeur qui a constamment guidé l’OIT, depuis sa création (Traité de Versailles, première partie, paragraphe 1) jusqu’à aujourd’hui ; la récente Déclaration de l’OIT sur la justice sociale pour une mondialisation équitable (adoptée à Genève, le 10 juin 2008) réaffirme cette valeur en tant que moyen de relever les défis du XXIe siècle. »

La Cour a ajouté qu’une définition de la rémunération dans le système juridique argentin « ne pourrait en aucune manière se comprendre dans le sens où elle aurait une portée moindre que ce qui est défini à l’article 1 de la convention n° 955 [de l’OIT] sur la protection du salaire » ; pour cette raison, elle a estimé qu’il convenait de faire appel aux observations répétées, que la  Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’OIT a adressées au gouvernement depuis 1995, dans lesquelles celle-ci s’était prononcée expressément sur l’article en question :

« (…) par ailleurs ; de cette manière, l’organe international maintenait sa position ou donnait suite aux critiques qu’il avait formulées en 1995, concernant les prestations n’ayant pas un caractère de rémunération, établies par les décrets 1477 et 1478 de 1989, et le décret 333 de 1993, “destinées à améliorer l’alimentation du travailleur et de sa famille”, en concluant à “l’existence d’un lien entre les prestations visant à améliorer l’alimentation du travailleur et de sa famille et le travail effectué ou le service rendu, en vertu d’un contrat de travail. Ces ‘prestations’ – a-t-il ajouté – quel que soit le nom qui puisse leur être donné (primes, prestations complémentaires, etc.), sont des éléments de la rémunération au sens de l’article 1 de la convention”.

(…)

Par conséquent, dans les observations de 1998 et 1999 rappelées précédemment, l’organe international “constate avec regret que cette nouvelle législation [art. 103bis de la loi relative aux contrats de travail, d’après le texte de la loi 24700] réinstaure une situation de divergence par rapport aux exigences de la convention”, qu’il a expliquée en détail, de manière répétée, en ce qui concerne les décrets 1477 et 1478 de 1989 et le décret 333 de 1993. »


1 Préambule de la Charte de l'Organisation des États américains, 1948; convention (n° 95) de l’OIT sur la protection du salaire, 1949; Convention américaine relative aux droits de l’homme (« Pacte de San José de Costa Rica »), 1969; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 1966 ; Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels (« Protocole de San Salvador »), 1988.

2 Déclaration de Philadelphie de l’OIT, 1944; Déclaration universelle des droits de l’homme, 1948; Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme, 1948 ; Déclaration de l’OIT sur la justice sociale pour une mondialisation équitable, 2008.

3 Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’OIT.

4 Comme l’a établi le Comité des droits économiques, sociaux et culturels dans son Observation générale n° 18 intitulée « Le droit au travail », 2005 (E/C.12/GC/18, paragr. 8).

5 Article 1: « Aux fins de la présente convention, le terme salaire signifie, quels qu’en soient la dénomination ou le mode de calcul, la rémunération ou les gains susceptibles d’être évalués en espèces et fixés par accord ou par la législation nationale, qui sont dus en vertu d’un contrat de louage de services, écrit ou verbal, par un employeur à un travailleur, soit pour le travail effectué ou devant être effectué, soit pour les services rendus ou devant être rendus. »

Texte intégral de la décision