Cour européenne des droits de l’homme, Stummer c. Autriche [Cour plénière], Requête n°37452/02, 7 juillet 2011
Cour européenne des droits de l’homme
Travail forcé
Interprétation du droit européen des droits de l’homme à la lumière du droit international
Travail forcé/ Prison/ Pension de retraite/ Interprétation de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales à la lumière du droit international
Le requérant est un ressortissant autrichien qui passa de nombreuses années de sa vie en prison où il travailla pendant de longues périodes dans la cuisine de l’établissement où il était incarcéré. En tant que détenu exerçant un travail, il ne fut pas affilié au régime des pensions de retraite relevant du régime général de la sécurité sociale.
La demande de pension de retraite anticipée introduite par M Stummer fut rejetée par l’Office des pensions, au motif que le requérant n’avait pas cumulé le nombre de mois d’assurance minimum requis pour pouvoir bénéficier d’une pension de retraite anticipée. Par la suite, le requérant intenta une action contre l’Office des pensions, faisant valoir qu’il avait travaillé pendant 28 ans en prison et que les mois où il avait travaillé pendant son incarcération devaient être considérés comme des mois d’assurance aux fins de l’établissement de ses droits à pension. Il fut débouté de sa prétention.
M Stummer porta l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme et plaida le caractère discriminatoire de l’exemption des détenus exerçant un travail de l’affiliation au régime des pensions de retraite le privant d’une pension de retraite. Il invoqua principalement l’article 14 (Interdiction de discrimination) de la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que l’article 1 du Protocole n° 1 de la Convention (Protection de la propriété). Il se prévalut également de l’article 4 (Interdiction de l’esclavage et du travail forcé) de la même Convention.
En l’espèce, la Cour fonda non seulement son raisonnement sur l’examen de la définition du travail forcé donnée à l’article 2(1) de la Convention n° 29 de l’OIT sur le travail forcé mais aussi sur les commentaires formulés par le comité d’experts de l’OIT sur le travail en prison, dans son étude d’ensemble intitulée « Eradiquer le travail forcé »:3
« Relevant que le travail pénitentiaire pour le compte d’employeurs privés était interdit par l’article 2 § 2 c) de la Convention n° 29, la Commission (CEACR) précisait qu’il pouvait y avoir des situations dans lesquelles, nonobstant leur état de captivité, les prisonniers pouvaient être réputés s’être offerts de plein gré et sans être menacés d’une peine quelconque pour effectuer un travail pour le compte d’un employeur privé. Elle ajoutait qu’à cet égard, hormis le consentement écrit formel du prisonnier, des conditions proches d’une relation de travail libre (en termes de niveau de rémunération, de sécurité sociale et de conditions de sécurité et d’hygiène) constituaient l’indicateur le plus fiable du caractère volontaire du travail. Dès lors que pareilles conditions étaient remplies, le travail pénitentiaire effectué pour le compte d’entreprises privées devait, selon elle, être considéré comme ne relevant pas de la définition du travail forcé figurant à l’article 2 § 1 de la Convention n° 29 et comme échappant en conséquence au champ d’application de ce texte. »4
Dans ce contexte, la Cour conclut que le travail accompli par le requérant ne constituait pas un « travail forcé ou obligatoire » et, en conséquence, il n’y a pas eu violation de l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme.
3 OIT: Eradiquer le travail force. Etude d’ensemble relative à la convention (no 29) sur le travail forcé, 1930, et à la convention (no 105) sur l’abolition du travail forcé, 1957. Rapport de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations, Rapport III (Partie 1 B), Conférence internationale du Travail, 96e session, Genève, 2007.