Cour d’appel de Wellington, Tavita c. le Ministre de l’Immigration, 17 décembre 1993, [1994] 2 NZLR 257
Nouvelle-Zélande
Interprétation du droit national à la lumière du droit international
Traités ratifiés;1 jurisprudence internationale2
Immigration/ Etranger marié à une citoyenne de la Nouvelle Zélande et père d’un enfant, menacé d’expulsion du territoire/ Obligation pour l’administration de prendre en considération les normes internationales relatives aux droits de l’homme
Un citoyen des Iles Samoa, marié à une citoyenne de la Nouvelle-Zélande avec laquelle il avait eu une fille, s’était vu signifier son expulsion du territoire par le Ministère de l’immigration. Il demanda sans succès le réexamen de son dossier pour raisons humanitaires. La question principale faisant l’objet du recours devant la Cour d’appel était de savoir si, dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, les autorités administratives, en l’absence de tout texte législatif les y obligeant expressément, devaient prendre en considération les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ratifiés par la Nouvelle-Zélande.
La Cour a, dans un premier temps, examiné les dispositions pertinentes des instruments internationaux pour déterminer si leur prise en compte par l’administration aurait pu modifier la décision d’expulsion. La Cour d’appel de Wellington s’est penchée sur les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (articles 23 1) et 24 1))3 et de la Convention relative aux droits de l’enfant (article 91)4. La Cour a ensuite examiné la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme5.
La Cour a noté que, dans deux arrêts, la Cour européenne avait estimé que les conséquences de l’extradition des citoyens étrangers sur leur situation et celle de leur famille n’auraient pas été proportionnelles au but poursuivi. La Cour d’appel a considéré que la même approche pouvait être suivie en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Convention relative aux droits de l’enfant. Dans ce sens, la situation de la famille et de l’enfant devait constituer le point de départ de l’examen du cas.
Une fois établi que la prise en considération des instruments internationaux pouvait modifier la décision administrative d’expulsion, la Cour d’appel a alors estimé que l’administration devait prendre en compte les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Elle a considéré que l’argument contraire n’était pas convaincant car il aurait signifié que l’adhésion de la Nouvelle-Zélande aux instruments internationaux n’aurait eu, selon les termes de la Cour, «qu’une fonction ornementale».
Même si la Cour d’appel de Wellington ne s’est pas prononcée de manière générale sur l’effet des conventions internationales relatives aux droits de l’homme sur la législation nationale, elle a cependant estimé que la ratification par la Nouvelle-Zélande du protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques avait des conséquences sur l’exercice du pouvoir judiciaire national:
«Depuis l’accession de la Nouvelle-Zélande au Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies est, dans un certain sens, partie à la structure juridique du pays, dans la mesure où les individus soumis à la compétence de la Nouvelle-Zélande ont des droits directs de recours devant lui. Un manquement à donner un effet pratique aux instruments internationaux auxquels la Nouvelle-Zélande est partie pourrait attirer des critiques. Des reproches légitimes pourraient s’étendre aux juridictions de la Nouvelle-Zélande si elles acceptaient l’argument selon lequel, parce que la législation interne accordant des pouvoirs discrétionnaires en termes généraux ne mentionne pas les normes ou obligations internationales relatives aux droits de l’homme, l’exécutif est nécessairement libre de les ignorer.»
La Cour d’appel de Wellington a donc considéré que même si la loi sur l’immigration ne prévoyait pas la prise en considération par l’administration des obligations internationales de la Nouvelle-Zélande dans l’exercice de ses pouvoirs discrétionnaires, ceci ne signifiait pas qu’elle avait la possibilité de les ignorer. Sur ce fondement, la juridiction a enjoint le Ministère de l’immigration de réexaminer la décision d’expulsion en tenant compte du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Convention relative aux droits de l’enfant.
1 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 1966; Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 1966; Convention relative aux droits de l’enfant, 1989.
3 Article 23 1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques: «La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État.»
Article 24 1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques: «Tout enfant, sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’origine nationale ou sociale, la fortune ou la naissance, a droit, de la part de sa famille, de la société et de l’État, aux mesures de protection qu’exige sa condition de mineur.»
4 Article 9 1) de la Convention relative aux droits de l’enfant: «Les États parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Une décision en ce sens peut être nécessaire dans certains cas particuliers, par exemple lorsque les parents maltraitent ou négligent l’enfant, ou lorsqu'ils vivent séparément et qu’une décision doit être prise au sujet du lieu de résidence de l’enfant.»