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Cour d’appel, Attorney-General c. Dow, 3 juillet 1992, BLR 119 (CA)

Pays:
Botswana
Sujet:
Principe général d’égalité
Type d’utilisation du droit international:
Interprétation du droit national à la lumière du droit international
Type d’instruments utilisés:

Traités ratifiés1

Loi n’accordant pas la citoyenneté du Botswana aux enfants issus de mariages entre une femme du Botswana et un mari étranger/ Action d'inconstitutionnalité/ Disposition constitutionnelle n’interdisant pas expressément la discrimination fondée sur le sexe/ Interprétation de la Constitution à la lumière du droit international

Une citoyenne du Botswana mariée à un citoyen des États-Unis saisit la justice pour faire déclarer l’inconstitutionnalité de l’article 4 de la loi du Botswana sur la citoyenneté. En vertu de cet article, la citoyenneté du Botswana n’était pas accordée aux enfants issus de mariages entre une femme du Botswana et un mari étranger tandis que tous les enfants dont le père était citoyen du Botswana se voyaient reconnaître cette nationalité. La demandeuse alléguait que cette disposition constituait une discrimination fondée sur le sexe portant préjudice à deux de ses enfants, nés au Botswana mais « étrangers sur leur propre terre ».

L’action en justice soulevait la question de savoir si la Constitution du Botswana  pouvait être comprise comme permettant les discriminations fondées sur le sexe. Il existait en effet une apparente contradiction entre les articles 3 et 15 de la Constitution à ce sujet.

En effet, si la première disposition reconnaissait le droit de jouir d’un certain nombre de droits fondamentaux sans discrimination fondée notamment sur le sexe, l’article 15 en revanche, traitant spécifiquement de la notion de discrimination, n’incluait pas le sexe dans la liste des motifs de discrimination expressément prohibés.

En première instance, le tribunal avait considéré que la Constitution ne pouvait être comprise comme permettant les discriminations fondées sur le sexe et avait déclaré inconstitutionnel l’article de loi incriminé. Pour conforter son raisonnement, le tribunal avait indiqué qu’il préférait choisir une interprétation de la Constitution conforme aux obligations internationales de l’État en matière de non-discrimination.

Cette décision fit l’objet d’un appel par le ministre de la justice sur le fondement que l’omission du sexe comme motif de discrimination interdit par l’article 15 avait été délibéré de la part du constituant afin de tenir compte du caractère «patrilinéaire de la culture traditionnelle du Botswana.2

Pour trancher l’appel et déterminer si la Constitution permettait effectivement les discriminations fondées sur le sexe, la Cour d’appel se pencha d’abord sur la logique interne du texte constitutionnel et sur les principes généraux d’interprétation devant être pris en compte afin de résoudre la contradiction entre les articles 3 et 15 du texte. La Cour releva trois arguments conduisant à déclarer inconstitutionnelle la loi sur la citoyenneté.

La juridiction souligna d’abord que parmi les droits fondamentaux qu’il énumère, l’article 3 reconnaît le droit à l’égale protection de la loi. Comme tous les droits cités par cette disposition, l’égale protection de la loi doit être accordée sans discrimination fondée sur le sexe. La Cour d’appel en déduit que l’article 3 posait une interdiction générale de la discrimination fondée sur le sexe.

Par ailleurs, la Cour indiqua que l’article 3 est une disposition générale ayant  pour finalité d’éclairer l’interprétation de l’ensemble des dispositions du chapitre de la Constitution concernant les droits fondamentaux de la personne. Dans ce sens, l’article 15 ne pouvait donc être lu indépendamment de l’article 3.

Finalement, la Cour considéra que pour reconnaître que l’article 15 restreint les garanties accordées par l’article 3 vis-à-vis des différences de traitement fondées sur le sexe, il conviendrait que cette restriction soit claire et sans ambiguïté, ce qui n’était pas le cas en l’espèce puisque l’article 15 n’exclut pas expressément la discrimination fondée sur le sexe de son champ d’application.

Pour conforter son interprétation de la Constitution, la Cour se référa ensuite aux obligations internationales du Botswana en matière de non-discrimination. La Cour releva que le Botswana avait ratifié à la fois la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. En soutenant la nécessité de la prise en compte des instruments internationaux dans l’interprétation de la Constitution, la Cour a décidé l’annulation de l’article 4 de la loi sur la citoyenneté:

« (…) il incombe à notre pays, comme à tous les autres États africains signataires de la Charte [Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples], une obligation très nette d’assurer l’élimination de toute discrimination contre les femmes. À mon avis, il est clairement du devoir de cette Cour de garder à l’esprit les obligations internationales lorsqu’elle est confrontée à la difficile tâche d’interpréter les dispositions de la Constitution. Si les dispositions constitutionnelles sont telles qu’elles peuvent être interprétées d’une manière assurant le respect par l’État de ses obligations internationales, une telle interprétation doit alors être choisie. Il pourrait en aller autrement dans les cas où, pleinement conscient de ses obligations internationales découlant d’un traité, convention, accord ou protocole ratifié,  un État adopte une loi contrevenant de manière délibérée et dans un langage clair au contenu dudit traité. Cependant, dans le cas soumis à cette Cour, les dispositions claires de l’article 3 de la Constitution sont en accord avec les obligations internationales de l’État tandis que l’interprétation de l’article 15 soutenue par le requérant conduiraient inévitablement l’État à violer ses obligations découlant des règles des Nations Unies et de l’Organisation de l’unité africaine. À cet égard, je suis de la position que ce pays n’adoptera pas délibérément des lois contrevenant à ses obligations et engagements en vertu de ces traités. Les tribunaux doivent donc interpréter les lois nationales d’une manière qui soit compatible avec la responsabilité de l’État de ne pas violer ses obligations internationales (…)

À la lumière de ce qui précède, la Constitution doit donc être comprise comme ne permettant pas les discriminations fondées sur le sexe, ce qui constituerait une violation du droit international. Par conséquent, l’article 4 de la loi sur la citoyenneté doit être considéré comme inconstitutionnel. Cet article est donc annulé.”


1 Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, 1981; Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes, 1979.

2 L’article 15 de la Constitution a été amendé en 2004 et le sexe a été ajouté parmi les motifs de discrimination interdits.

Texte intégral de la décision