Haute Cour de Lobatse, Botswana Public Employees’ Union et autres c. Ministère du Travail et des Affaires intérieures et autres, MAHLB-000674-11, 9 août 2012
Botswana
Droit de grève
Interprétation du droit national à la lumière du droit international
Traités ratifiés;1 jurisprudence étrangère2
Droit de grève/ Services essentiels /Interprétation du droit national à la lumière du droit international
Des syndicats enregistrés représentant différentes catégories de travailleurs du secteur public demandèrent l’invalidation de l’article 49 de la loi sur les différends du commerce (Trade Disputes Act, « TDA ») et de l’amendement de l’annexe de cette loi, introduit au moyen de l’instrument statutaire n° 57 de 2011 (« SI 57 ») par le ministre du Travail et des Affaires intérieures, qui établit la liste des services essentiels. Par cette modification, la liste des services essentiels avait été étendue de manière à inclure les services vétérinaires, les services de taille, de tri et de vente de diamants et les services d’enseignement.
La Cour entendit la position des requérants selon laquelle l’article 49 de la TDA était inconstitutionnelle parce que la Constitution attribue le pouvoir de légiférer au Parlement et aborda les trois arguments concernant la nullité du SI 57 avancés par les requérants. Tout d’abord, les requérants soutenaient que le SI 57 était « ultra vires de l’article 49 de la TDA, parce que, selon une interprétation correcte, cet article ne permet pas au ministre de publier un ordre - comme il l’a fait -, qui est incompatible avec les obligations du Botswana vis-à-vis de l’OIT ».3
La Cour observa que « [d]ans ce pays, les tribunaux adoptent la position que les dispositions constitutionnelles et législatives doivent être interprétées de manière à respecter le droit international».4
La Cour nota ensuite que le Botswana avait ratifié les conventions n° 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical et n° 98 sur le droit d’organisation et de négociation collective, et que la Commission d’experts pour l'application des conventions et recommandations (CEACR), interprétant ces conventions, avait défini les services essentiels « dans le but de limiter le droit de grève » comme étant « les services dont l’interruption mettrait en danger la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans l' ensemble ou dans une partie de la population».5
En outre, elle fit remarquer que « les opinions des experts sont généralement considérées comme une source de droit international du travail »6
et que la CEACR avait également adressé une observation au gouvernement du Botswana dans laquelle elle exprimait l’avis que « les nouvelles catégories ajoutées à la liste ne constituent pas des services essentiels au sens strict du terme » et demandait la modification de cette liste. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que l’article 49, en supposant sa validité constitutionnelle, devait être interprété comme n’autorisant pas un ministre à adopter un instrument statutaire qui contrevient aux obligations incombant au Botswana en vertu du droit international. Par conséquent, le SI 57 était invalide.
La Cour examina ensuite si l’argument selon lequel la liste des services essentiels violait l’article 13 de la Constitution, qui garantit la liberté d’association, mais qui permet aussi des limites raisonnablement justifiables dans une société démocratique. La Cour observa que, n’étant pas certaine qu’en vertu de l’article 13 la liberté d'association englobait le droit de grève, « il incombe à cette juridiction (…) d’interpréter cet article d’une manière compatible avec le droit international »7
et nota que « dans le droit international, le droit à la liberté d'association englobe le droit de grève.»8
En outre, « le droit international ne considère pas l’interdiction de la grève pour protéger les intérêts économiques comme une limitation raisonnablement justifiable dans une société démocratique », qui était la justification avancée pour la plupart des catégories supplémentaires de services essentiels, et que « la Commission d’experts de l’OIT (…) semble considérer qu’il est raisonnablement justifiable dans une société démocratique de ne restreindre le droit de grève que dans une mesure qui réponde à la définition de " services essentiels " ».9 Par conséquent, le SI 57 était inconstitutionnel.
Enfin, la Cour étudia l’affirmation des requérants selon laquelle ils pouvaient légitimement s’attendre à ce que le gouvernement prenne des décisions qui soient compatibles avec les obligations internationales du Botswana. À cet égard, la Cour estima que « le fait de signer [des conventions de l’OIT] a donné lieu à l’attente que les membres de l’exécutif ne pourraient agir d’une manière qui contredit la lettre et l’esprit de ces conventions, à moins qu’ils (les requérants) n’aient eu la possibilité de faire valoir le contraire. » Par conséquent, la promulgation de la SI 57 fut déclarée nulle.
Se basant sur les Conventions Nos 87 et 98 sur les observations de la Commission d’experts de l’OIT, la Cour décida que le SI 57, qui étendait la liste des services essentiels, était invalide et nul et sans effet.
1 Convention (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; Convention (n° 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
2 Afrique du Sud, Australie, États-Unis, Royaume-Uni. La Cour fit également référence à l’affaire Attorney-General c. Dow, 3 juillet 1992, BLR 119 (CA).
3 Paragraphe 28.4 de la décision.
4 Paragraphe 192 de la décision.
5 BIT, Liberté syndicale et négociation collective, Étude d’ensemble de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations, Conférence internationale du Travail, 81e session, Genève, 1994, Rapport III(4B), paragraphe 159.
6 Paragraphe 223 de la décision, qui fait également référence à une conclusion identique dans l’affaire Botswana Railways c. Botswana Railways Train Crew Union, affaire n° CA CACLB -042-09.
7 Paragraphe 249 de la décision.