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Cour suprême du Nigeria, Abacha c. Fawehinmi, 28 avril 2000, n° SC 45/1997

Constitution de la République fédérale du Nigeria

Article 12, paragraphe 1

Aucun traité entre la Fédération et tout autre pays n’aura force de loi tant qu’il n’aura pas été incorporé sous forme de loi par l’Assemblée nationale. 

Constitution de la République fédérale du Nigeria (troisième révision) de 2010 

254 C- (1)

Nonobstant les dispositions des articles 251, 257, 272 et toute autre disposition contenue dans la présente Constitution, et en addition à toute autre juridiction qui aurait pu lui être conférée par un acte de l’Assemblée nationale, le Tribunal national du travail exercera la juridiction exclusive et aura la primauté sur les autres cours en matière civile (…)

(h) liées ou attenant à l’application ou l’interprétation des normes internationales du travail;

(2) nonobstant toute mention contraire dans la présente Constitution, le Tribunal national du travail détient la juridiction et le pouvoir de connaître de toute affaire liée ou attenant à l’application des conventions, traités ou protocoles internationaux ratifiés par le Nigeria et concernant le travail, l’emploi, le lieu de travail, les relations professionnelles ou des sujets connexes.

Pays:
Nigeria
Sujet:
Type d’utilisation du droit international:
Interprétation du droit national à la lumière du droit international
Type d’instruments utilisés:

Traités ratifiés1; jurisprudence étrangère;2

Détention arbitraire/ Recours devant la Cour suprême/ Détermination de la valeur de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples en droit interne/ Interprétation du droit national à la lumière du droit international

Un militant des droits de l’homme avait été, sans présentation d’un mandat d’arrêt et sans motif, placé en garde à vue pendant une semaine. Au cours de cette période il fut tenu dans un complet isolement avant d’être incarcéré. Il saisit la Haute Cour fédérale de Lagos pour réclamer le respect de ses droits fondamentaux. Il estimait, entre autre, que son arrestation était contraire aux articles 4, 5, 6 et 123 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (ratifiée par le Nigeria).

Le principal problème juridique auquel était confrontée la Cour suprême du Nigeria concernait la valeur de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples dans son ordre juridique interne. La réponse de la Cour sur ce point commandait la recevabilité du recours.

La Cour suprême du Nigeria a d’abord défini le terme «traité» en fonction de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités. Après avoir invoqué la jurisprudence anglaise relative au traité établissant la Communauté économique européenne pour le Royaume-Uni, un juge de la Cour suprême a tenu à préciser que:

«De la pléthore de jurisprudences ci-dessus, il est évident qu’aujourd’hui les traités peuvent créer des droits et des obligations non seulement entre États membres eux-mêmes, mais aussi entre les citoyens et les États membres, et entre les citoyens ordinaires.»

Puis la Cour a estimé que:

«L’esprit d’une convention ou d’un traité demande que l’interprétation et l’application de ces dispositions correspondent aux concepts juridiques internationaux et civilisés. Il s’agit des concepts qui sont généralement admis et dans le même temps d’une grande certitude dans leur application. Par conséquent, les cours ne doivent pas interpréter une loi de façon à la faire entrer en conflit avec le droit international.»

La Cour a poursuivi son raisonnement en fondant son interprétation sur la jurisprudence anglaise. Elle a ainsi reconnu que puisque c’est par la loi que le Nigeria incorpore les traités dans l’ordre juridique interne «le traité devient obligatoire et nos cours doivent lui donner effet comme toutes les lois rentrant dans le pouvoir judiciaire de ces cours.»

Quant à la place de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples dans la hiérarchie des normes du Nigeria, la Cour suprême a estimé que la loi ayant incorporé la Charte dans l’ordre interne «est une législation avec un parfum international. Dans ces circonstances et pour ces motifs, s’il y a un conflit entre elle et une autre loi, ses dispositions vont prévaloir sur celles de l’autre loi parce que l’on présume que le pouvoir législatif ne souhaite pas enfreindre ses obligations internationales. Elle possède donc une plus grande force et valeur juridique que n’importe quelle autre loi interne.»

La Cour a ensuite estimé que la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples étant un instrument de protection des droits de l’homme, ses dispositions pouvaient être invoquées devant les tribunaux nigérians. Pour affirmer cela, la Cour s’est fondée directement sur les articles de la Charte prévoyant que les individus dont les droits sont violés disposent d’un recours pour voir leurs droits directement reconnus4.

Enfin, il est intéressant de noter que la Cour suprême du Nigeria a estimé que l’absence de prévision d’un recours spécifique dans la législation n’empêchait pas les citoyens de réclamer l’application des droits contenus dans la Charte. Cette possibilité pouvait même être appliquée selon la procédure prévue pour la mise en œuvre des droits fondamentaux contenus dans la Constitution.

Après avoir interprété le droit national à la lumière du droit international et du droit comparé, la Cour suprême du Nigeria a donc estimé que les traités ratifiés et incorporés sous forme de loi dans le droit interne avaient une autorité supérieure aux autres lois nationales. Sur ce fondement, et après avoir accueilli le pourvoi du militant des droits de l’homme, la juridiction a jugé que les dispositions de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples étaient directement applicables.


1Convention de Vienne sur le droit des traités, 1969; Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, 1981.

2France et Royaume-Uni.

3Article 4 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples: «La personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l'intégrité physique et morale de sa personne. Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit.»

Article 5 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples: «Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes formes d’exploitation et d’avilissement de l’homme notamment l’esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants sont interdites.»

Article 6 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples: «Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans des conditions préalablement déterminés par la loi; en particulier nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement.»

Article 12 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples:

«1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État, sous réserve de se conformer aux règles édictées par la loi.

2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. Ce droit ne peut faire l’objet de restrictions que si celles-ci sont prévues par la loi, nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publique.

3. Toute personne a le droit, en cas de persécution, de rechercher et de recevoir asile en territoire étranger, conformément à la loi de chaque pays et aux conventions internationales.

4. L’étranger légalement admis sur le territoire d’un État partie à la présente Charte ne pourra en être expulsé qu’en vertu d’une décision conforme à la loi.

5. L’expulsion collective d’étrangers est interdite. L’expulsion collective est celle qui vise globalement des groupes nationaux, raciaux, ethniques ou religieux.»

4Article 7 1) a), de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples:

«Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend:

a) le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur;»

Texte intégral de la décision