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Cour suprême du Canada, Slaight Communication Incorporated c. Ron Davidson, 4 mai 1989, [1989] 1 R.C.S. 1038

Pays:
Canada
Sujet:
Licenciement
Type d’utilisation du droit international:
Interprétation du droit national à la lumière du droit international
Type d’instruments utilisés:

traité ratifié1

Licenciement injustifié/ Ordonnance arbitrale enjoignant l’entreprise à fournir certaines informations aux employeurs potentiels du salarié/ Recours pour atteinte à la liberté d’expression/ Interprétation du droit national à la lumière du droit international

Un salarié avait été congédié par son employeur pour insuffisance professionnelle. Un arbitre avait été nommé pour résoudre le litige. Il apparut que le licenciement découlait d’une machination de l’employeur pour se débarrasser du travailleur. L’arbitre ordonna le versement d’une somme d’argent à l’employé. Il exigea également que dans les correspondances entre l’ancien employeur et toute personne souhaitant engager le salarié, il soit fait mention par le premier des performances de l’employé au sein de l’entreprise. Enfin, l’employeur devait notifier qu’une décision arbitrale avait estimé que le licenciement du travailleur était dépourvu de motifs valables. Cette mesure avait pour but d’empêcher l’ancien employeur de nuire à la carrière du salarié. L’employeur saisit la justice. Il estimait en effet que la décision de l’arbitre violait son droit fondamental à la liberté d’expression tel que reconnu par la Charte canadienne des droits et des libertés.

Afin de déterminer si le droit du travailleur de retrouver un emploi pouvait justifier une limitation de la liberté d’expression de l’ancien employeur, le juge en chef de la Cour suprême, suivi en cela par la majorité des membres de la juridiction, s’est fondé sur le droit international.

«Il existe plusieurs valeurs différentes qui méritent d’être protégées dans une société libre et démocratique comme la société canadienne, et seules certaines d’entre elles sont expressément prévues dans la Charte. Les valeurs fondamentales d’une société libre et démocratique garantissent les droits prévus dans la Charte et, lorsque cela est indiqué, justifient la restriction de ces droits. Comme on l’a dit dans l’arrêt Oakes, précité, (…) parmi les valeurs fondamentales essentielles à notre société libre et démocratique figurent «la dignité inhérente de l’être humain» et «la promotion de la justice et de l’égalité sociales». Compte tenu particulièrement de la ratification par le Canada du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, (1966), et de l’engagement qu’on y trouve de protéger notamment le droit de travailler sous ses divers aspects figurant à l’article 6 de ce traité, on ne peut douter de l’importance très grande de l’objectif en l’espèce. Dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), précité, j’ai affirmé:

«Le contenu des obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne est, à mon avis, un indice important du sens de l’expression «bénéficient pleinement de la protection accordée par la Charte». Je crois qu’il faut présumer, en général, que la Charte accorde une protection à tout le moins aussi grande que celle qu’offrent les dispositions similaires des instruments internationaux que le Canada a ratifiés en matière de droits de la personne.

(…) les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne devraient renseigner non seulement sur l’interprétation du contenu des droits garantis par la Charte, mais aussi sur l’interprétation de ce qui peut constituer des objectifs urgents et réels au sens de l’article premier qui peuvent justifier la restriction de ces droits. De plus, aux fins de cette étape de l’examen de la proportionnalité, le fait qu’une valeur ait le statut d’un droit de la personne international, soit selon le droit international coutumier, soit en vertu d’un traité auquel le Canada est un État partie, devrait en général dénoter un degré élevé d’importance attaché à cet objectif. Cela est en accord avec l’importance que la Cour attribue à la protection des employés en tant que groupe vulnérable dans la société.»»

On retrouve ce même raisonnement dans l’arrêt de la Cour Suprême:

«En bref, l’arbitre a fait le strict nécessaire pour atteindre l’objectif. En dernier lieu, les effets des mesures ne sont pas préjudiciables au point de l’emporter sur leur objectif. En l’espèce, l’objectif est très important, en particulier à la lumière de l’engagement du Canada dans les traités internationaux de protéger le droit du travail sous ses divers aspects. Aux fins de cette étape de l’examen de la proportionnalité, le fait qu’une valeur ait le statut d’un droit de la personne international, soit selon le droit international coutumier, soit en vertu d’un traité auquel le Canada est un État partie, devrait en général dénoter un degré élevé d’importance attaché à cet objectif.»

La Cour a estimé que la reconnaissance du droit au travail par des instruments internationaux démontrait son caractère fondamental. Par conséquent, la protection de ce droit pouvait justifier une limitation de la liberté d’expression. En l’espèce, la Cour suprême du Canada a refusé d’invalider la décision de l’arbitre.


1 Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 1966.

Texte intégral de la décision