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Cour Suprême du Canada, Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 30 janvier 2015, 2015 CSC 4

Pays:
Canada
Sujet:
Négociation collective , Droit de grève
Type d’utilisation du droit international:
Référence au droit international pour renforcer une solution fondée sur le droit national
Type d’instruments utilisés:

Traités ratifiés;1 travaux des organes de contrôle internationaux2

Charte canadienne des droits et libertés/ Droit de grève/ Droit à la négociation collective/ Loi limitant l’exercice du droit de grève des salariés qui assurent des services essentiels/ Référence au droit international pour renforcer une solution fondée sur le droit national

Un pourvoi en appel a été déposé devant la Cour suprême du Canada, dans lequel les appelants contestent la constitutionnalité de deux lois adoptées par le gouvernement de la Saskatchewan. Selon les appelants, la Public Service Essential Services Act, S.S. 2008 c. P-42.2 (ci-après la PSESA) et la Trade Union Amendment Act, 2008, portent atteinte à l’article 2(d) de la Charte canadienne des droits et libertés portant sur la liberté d’association.

La PSESA définit un régime législatif interdisant l’exercice du droit de grève des salariés du secteur public qui assurent des services essentiels, de sorte que ces salariés doivent continuer d’exercer leurs fonctions conformément aux conditions établies par la convention collective, sans que soit prévu un mécanisme véritable pour dénouer l’impasse des négociations collectives. La Trade Union Amendment Act, 2008 modifie le processus de certification syndicale par l’accroissement du pourcentage d’appui requis de la part des salariés et par la réduction de la période d’obtention par écrit de cet appui. Elle modifie également les règles sur les communications de l’employeur avec ses salariés.

Si la Cour Suprême écarte rapidement la question juridique relative à la constitutionnalité de la Trade Union Amendment Act, 2008, en indiquant que cette loi « ne contrevient pas à l’article 2(d) »,3 s’agissant de la PSESA, la Cour est confrontée à la question juridique de déterminer si la liberté d’association garantie dans l’article 2 (d) de la Charte protège le droit de grève et, dans l’affirmative, d’examiner si l’interdiction faite aux salariés assurant des services essentiels de prendre part à une grève entrave substantiellement le droit à un processus véritable de négociation collective.

La Cour apporte un changement de grande importance à sa jurisprudence puisqu’elle reconnaît pour la première fois que « le droit de grève jouit de la protection constitutionnelle en raison de sa fonction cruciale dans le cadre d’un processus véritable de négociation collective ».4

Pour étayer son argumentaire, la Cour s’appuie notamment sur l’adhésion du Canada à des instruments internationaux reconnaissan le droit de grève ainsi que sur d’autres sources de droit international. Elle fait notamment référence à l’article 8, paragraphe 1(d), du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturel, à l’article 45 de la Charte de l’Organisation des Etats américains ainsi qu’à la convention n° 87 de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical.5

A cet égard, elle relève que « bien que la convention n° 87 ne renvoie pas expressément au droit de grève, les organismes de contrôle de l’application de l’OIT, dont le Comité de la liberté syndicale et la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations, reconnaissent que le droit de grève est indissociable du droit de regroupement en syndicat que protège la convention ».6 Se référant au recueil de décision et de principes du Comité de la liberté syndicale, elle ajoute que « même si, à strictement parler, elles n’ont pas d’effet obligatoire, les décisions du Comité de la liberté syndicale ont une force persuasive considérable et elles ont été citées avec approbation et largement reprises à l’échelle mondiale par les cours de justice, les tribunaux administratifs et d’autres décideurs, y compris [la] Cour [Suprême du Canada] ».7

La Cour se fonde également sur le consensus dégagé à l’échelle internationale en ce qui concerne la nécessité du droit de grève pour une négociation collective véritable en citant notamment la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.8

De ces éléments, la Cour Suprême en déduit « qu’un processus véritable de négociation collective exige que les salariés puissent participer à un arrêt collectif du travail aux fins de la détermination de leurs conditions de travail par une convention collective. La faculté de cesser collectivement le travail pendant la négociation d’une convention collective constitue donc – et a toujours constitué – le minimum irréductible de la liberté d’association dans les relations de travail au Canada.»9

Elle poursuit son examen en analysant l’atteinte portée à la liberté d’association garantie par la Charte canadienne des droits et libertés. A cet égard, la Cour estime que l’interdiction que fait la PSESA aux salariés désignés de prendre part à une grève aux fins de la négociation de leurs conditions de travail entrave substantiellement le droit à un processus véritable de négociation collective, si bien qu’il y a atteinte à la liberté garantie par la Charte.10

A ce stade, la question décisive, selon la Cour, est celle de savoir si les moyens retenus par l’Etat portent atteinte le moins possible ou non aux droits constitutionnels. Analysant les dispositions de la PSESA, la Cour constate que « le pouvoir unilatéral de l’employeur public de décider que des services essentiels seront assurés durant un arrêt de travail et de déterminer la manière dont ils le seront, à l’exclusion de tout mécanisme de contrôle approprié, sans compter l’absence d’un mécanisme véritable de règlement des différends, justifient la conclusion selon laquelle la PSESA porte atteinte plus qu’il n’est nécessaire aux droits constitutionnels en cause.»11 La Cour Suprême déclare donc inconstitutionnelle la loi PSESA de 2008 en renforçant son raisonnement sur la base des traités internationaux ratifiés, y compris la convention n° 87, et des travaux du Comité de la liberté syndicale de l’OIT.

 


1 Convention (n° 87) de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 1966; Charte de l’Organisation des Etats américains.

2 Comité de la liberté syndicale de l’OIT; Commission d'Experts sur l'application des conventions et recommendations de l'OIT.

3 La Cour suprême du Canada rejette l’appel visant la Trade Union Amendment Act, 2008, ( voir paragraphe 8) en indiquant que « Les modifications qu’elle apporte au processus d’accréditation ou de désaccréditation d’un agent négociateur, ainsi qu’aux règles applicables aux communications de l’employeur avec ses salariés, n’entravent pas de manière substantielle la liberté d’association» (voir paragraphe 21).

4 Paragraphe 51.

5 Paragraphes 65-67.

6 Paragraphe 67.

7 Paragraphes 68-69.

8 Paragraphe 71.

9 Page 10.

10 Paragraphe 15.

11 Page 12.

Texte intégral de la décision