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Cour suprême du Canada, Baker c. le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 9 juillet 1999, 1999] 2 R.C.S. 817

Pays:
Canada
Sujet:
Type d’utilisation du droit international:
Interprétation du droit national à la lumière du droit international
Type d’instruments utilisés:

traité ratifié mais non encore incorporée dans la législation interne;1 instruments non soumis à ratification;2 jurisprudence étrangère3

Mesure d’expulsion du territoire contre une mère de quatre enfants/ Saisine de la Cour suprême pour faire juger illégale la décision administrative d’expulsion/ intérêt des enfants/ Interprétation du droit national à la lumière du droit international/ Opinion dissidente

Une citoyenne de la Jamaïque, souffrant de graves troubles psychologiques et mère de quatre enfants canadiens, faisait l’objet d’un avis d’expulsion. Elle saisit la justice pour faire annuler cette décision administrative. Le Code de l’immigration prévoyant que l’administration devait, lors des procédures d’expulsion, prendre en compte des raisons d’ordre humanitaire, Mme Baker soutenait que son éventuelle expulsion entraînerait des dommages irréversibles tant pour ses enfants que pour son propre état psychologique.

Dans une opinion dissidente4, le juge L’heureux-Dubéa considéré que, dans la détermination des raisons d’ordre humanitaire applicables à l’espèce, il convenait de prendre en compte la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant même si celle-ci, ratifiée par le Canada, n’était pas encore incorporée dans la législation interne:

«Un autre indice de l’importance de tenir compte de l’intérêt des enfants dans une décision d’ordre humanitaire est la ratification par le Canada de la Convention relative aux droits de l’enfant, et la reconnaissance de l’importance des droits des enfants et de l’intérêt supérieur des enfants dans d’autres instruments internationaux ratifiés par le Canada. Les conventions et les traités internationaux ne font pas partie du droit canadien à moins d’être rendus applicables par la loi (…). Ses dispositions n’ont donc aucune application directe au Canada.5

Les valeurs exprimées dans le droit international des droits de la personne peuvent, toutefois, être prises en compte dans l’approche contextuelle de l’interprétation des lois et en matière de contrôle judiciaire. (…)

La législature est présumée respecter les valeurs et les principes contenus dans le droit international, coutumier et conventionnel. Ces principes font partie du cadre juridique au sein duquel une loi est adoptée et interprétée. Par conséquent, dans la mesure du possible, il est préférable d’adopter des interprétations qui correspondent à ces valeurs et à ces principes. (…)

D’autres pays de common law ont aussi mis en relief le rôle important du droit international des droits de la personne dans l’interprétation du droit interne: voir, par exemple, Tavita c. Ministre de l’Immigration, [1994] 2 N.Z.L.R. 257 (C.À.); Vishaka c. Rajasthan, [1997] 3 L.R.C. 361 (C.S. Inde). Il a également une incidence cruciale sur l’interprétation de l’étendue des droits garantis par la Charte: Slaight Communications, précité; R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697.

Les valeurs et les principes de la Convention reconnaissent l’importance d’être attentif aux droits des enfants et à leur intérêt supérieur dans les décisions qui ont une incidence sur leur avenir. En outre, le préambule, rappelant la Déclaration universelle des droits de l’homme, reconnaît que «l’enfance a droit à une aide et à une assistance spéciales». D’autres instruments internationaux mettent également l’accent sur la grande valeur à accorder à la protection des enfants, à leurs besoins et à leurs intérêts. La Déclaration des droits de l’enfant (1959) de l’Organisation des Nations Unies, dans son préambule, dit que l’enfant «a besoin d’une protection spéciale et de soins spéciaux». Les principes de la Convention et d’autres instruments internationaux accordent une importance spéciale à la protection des enfants et de l’enfance, et à l’attention particulière que méritent leurs intérêts, besoins et droits. Ils aident à démontrer les valeurs qui sont essentielles pour déterminer si la décision en l’espèce constituait un exercice raisonnable du pouvoir en matière humanitaire.»6

Le juge L’heureux-Dubé a donc estimé que même si la Convention relative aux droits de l’enfant n’était pas incorporée en droit interne, l’administration devait tout de même la prendre en compte lors des mesures d’expulsion. En l’espèce, la Cour suprême du Canada a annulé la décision administrative d’expulsion.


1 Convention relative aux droits de l’enfant, 1989.

2 Déclaration universelle des droits de l’homme, 1948; Déclaration des droits de l’enfant, 1959.

3 Inde et Nouvelle-Zélande.

4 Si l’avis du juge L’heureux-Dubé a été admis par les autres membres de la Cour suprême vis-à-vis du fond de l’affaire, ces derniers ont considéré que: «Le principe qu’une convention internationale ratifiée par le pouvoir exécutif n’a aucun effet en droit canadien tant qu’elle n’est pas incorporée dans le droit interne ne peut pas survivre intact après l’adoption d’un principe de droit qui autorise le recours dans le processus d’interprétation des lois, aux dispositions d'une convention qui n’a pas été intégrée dans la législation.»

5 Paragraphe 69 de la décision.

6 Paragraphe 70 de la décision.

Texte intégral de la décision