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Cour suprême de Maurice, Chambre constitutionnelle, Pointu c. le Ministre de l’Éducation et des Sciences, 27 octobre 1995, n° S.C.J. 350

Pays:
Maurice
Sujet:
Principe général d’égalité
Type d’utilisation du droit international:
Interprétation du droit national à la lumière du droit international
Type d’instruments utilisés:

Traité ratifié;1 travaux des organes de contrôle internationaux;2 jurisprudence étrangère3

Nouvelle réglementation d’un concours/ Recours pour rupture du principe d’égalité/ Interprétation des dispositions constitutionnelles à la lumière des jurisprudences étrangères et internationales

Les élèves de Maurice participaient chaque année à un concours leur permettant d’intégrer les meilleurs écoles du pays. Les types d’épreuves de ce concours et les modalités de calcul des notes venaient d’être modifiées. Des citoyens de l’Ile Maurice saisirent la Cour suprême. Ils estimaient que les nouvelles dispositions contrevenaient au principe d’égalité proclamé par articles 3 et 16 de la Constitution nationale4, en introduisant  des coefficients différents selon les matières que les élèves présentaient à l’examen.

Avant d’analyser les articles pertinents de la Constitution, la Cour suprême de Maurice s’est interrogée sur la possibilité d’interpréter les droits fondamentaux contenus dans la Constitution à la lumière de sources étrangères et internationales. Elle a étudié les précédents jurisprudentiels et conclu que:

«Selon nous, la meilleure approche est qu’une Constitution, notamment la partie qui contient les droits fondamentaux, doit être interprétée dans une perspective historique, à la lumière de ses origines et, autant que possible, des décisions sur des dispositions similaires aux nôtres par des juridictions nationales et internationales.»

Tout au long de son raisonnement, la Cour a «considéré, entre autres, les normes portant sur les droits de l’homme de rang international dans la perspective adoptée par le Comité des droits de l’homme dans l’affaire Zwaan de Vries contre Pays-Bas5 dans laquelle le Comité a considéré que l’article 26

(NDR: du Pacte international relatif aux droits aux droits civils et politiques) impose un code de bonne conduite à l’État à la fois dans l’exercice de ses fonctions législatives, administratives ou judiciaires.»

La Cour suprême a alors examiné la jurisprudence des États-Unis et de l’Inde. Elle a adopté l’approche catégorielle de cette dernière6. Sur ce fondement,

elle a estimé que la nouvelle réglementation introduisait une différence de traitement entre les élèves alors qu’ils appartenaient tous à la même catégorie et que ceci méconnaissait «le principe d’égalité devant la loi et de l’égale protection de la loi de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques7 contenu dans notre Constitution.»

S’inspirant du droit international et du droit comparé, la Cour suprême de Maurice a pu estimer que la réglementation du concours était discriminatoire car établissant des différences de traitement entre personnes appartenant à une même catégorie. Par conséquent la nouvelle réglementation a été déclarée inconstitutionnelle.


1 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 1966.

2 Comité des droits de l’homme des Nations Unies.

3 Inde et États-Unis.

4 Article 3 de la Constitution de Maurice: «Il est reconnu et proclamé qu’il a existé et qu’il continue d’exister à Maurice, sans discrimination à raison de la race, du lieu d’origine, des opinions politiques, de la couleur, des croyances ou du sexe mais dans le respect des droits et libertés d’autrui et de l’intérêt public, tous les droits de l’homme et libertés fondamentales (…).»

Article 16 de la Constitution de Maurice:

«1) Sous réserve des dispositions des alinéas 4, 5 et 7 du présent article, aucune loi ne contiendra une disposition discriminatoire en elle-même ou dans ses effets.

2) Sous réserves des dispositions des alinéas 6, 7 et 8 du présent article, nul ne pourra être traité d’une façon discriminatoire par une personne agissant dans l’exécution d’une fonction publique conférée par la loi ou dans l’exécution des fonctions d’une autorité publique.»

5 Comité des droits de l’homme des Nations Unies: communication

n° 182/1984, Zwaan de Vries c. Pays-Bas, 9 avril 1987, CCPR/C/29/D/182/1984.

6 L’approche catégorielle a été définie par la Cour suprême de l’Inde dans

son arrêt R. K. Garg c. Union of India de 1981:

«Les personnes qui sont dans des situations semblables doivent être traitées également et les personnes dans des situations différentes ne doivent pas être traitées également. Afin de réussir l’examen de la catégorisation autorisée, deux conditions doivent être remplies, à savoir, (i) la catégorisation doit être fondée sur une différence intelligible qui distingue des personnes ou des choses regroupées ensemble de celles qui ne sont pas dans le groupe et (ii) cette différence doit aussi avoir un lien rationnel avec l’objet de la loi en question. Alors qu’une catégorisation peut être fondée sur plusieurs critères, ce qui est important c’est qu’il y a un lien entre la catégorisation et l’objet de la loi litigieuse.»

7 Article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques:

«Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. À cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.»

Texte intégral de la décision