Cour suprême de l’Inde, Vishaka et autres c. État du Rajasthan et autres, 13 août 1997, [1997] 6 SCC 241
Inde
Harcèlement sexuel , Protection contre la discrimination dans l’emploi et la profession
Interprétation du droit national à la lumière du droit international
Traités ratifiés;1 travaux des organes de contrôle internationaux2
Harcèlement sexuel/ Vide juridique dans la législation nationale/ Interprétation des droits garantis par la Constitution à la lumière du droit international pour dégager les règles applicables au harcèlement sexuel
Un groupe de militants et d’organisations non gouvernementales avaient saisi la Cour suprême indienne. Ils souhaitaient que celle-ci prenne des dispositions, conformément à l’article 32 de la Constitution indienne, qui prévoit que la Cour suprême peut adopter des directives pour mettre en œuvre les droits contenus dans la Constitution. Les plaignants estimaient que les droits fondamentaux des femmes étaient violés par des pratiques de harcèlement sexuel sur le lieu de travail en Inde.
La Cour a estimé que:
«Le droit fondamental d’exercer un emploi, commerce ou profession dépend de la présence d’un environnement de travail «sûr». Le droit à la vie implique le droit à vivre dans la dignité. La responsabilité de la garantie de la sécurité et de la dignité incombe en premier lieu au législateur, et celle de la création du mécanisme d’application au législateur et à l’exécutif. Toutefois, quand des situations de harcèlement sexuel en violation des droits fondamentaux des travailleuses consacrés aux articles 14, 19 et 21 sont portées à la connaissance de la Cour en vue d’une action de remédiation en vertu de l’article 32, cette remédiation exige que des lignes directrices soient fixées pour protéger ces droits et pour combler le vide juridique.»
La Cour a ajouté que:
«En l’absence de législation nationale en la matière, dans l’optique de la définition de mesures efficaces pour contrer sur tous les lieux de travail les faits de harcèlement à l’encontre des travailleuses, les conventions et normes internationales revêtent une grande importance pour l’interprétation de la garantie de l’égalité des genres, du droit à travailler dans la dignité consacré par les articles 14, 15, 19(1)(g) et 21 de la Constitution et des protections contre le harcèlement sexuel qui y sont implicitement évoquées.»3
Afin d'expliquer son application du droit international, la Cour suprême a précisé que:
«L’égalité des genres inclut la protection contre le harcèlement sexuel et le droit de travailler dignement, un droit humain essentiel reconnu universellement. Les exigences minimales de ce droit ont reçu une acceptation globale. Les conventions et normes internationales sont, en conséquence, de grande importance dans la formulation des principes généraux pour atteindre ce but.
(…) Le gouvernement de l’Inde a ratifié cette convention le 25 juin 1993 avec quelques réserves qui ne sont pas importantes dans le cas présent. À la quatrième conférence mondiale sur les femmes à Beijing, le gouvernement de l’Inde a aussi pris l’engagement officiel, inter alia, de formuler et d’opérationnaliser une politique nationale pour les femmes. Cette dernière a pour objectif de continuellement guider et contribuer à l’action et de fournir de l’information à chaque niveau et dans tous les secteurs, de mettre sur pied une commission pour les droits de la femme afin d’agir comme défenseur public des droits fondamentaux de la femme et d’institutionnaliser au niveau national des mécanismes de surveillance de la mise en œuvre de la Plateforme d’action. Nous n’avons donc aucune hésitation à placer notre confiance dans ce qui précède (NDR: les dispositions de la convention) afin d’interpréter la nature et la portée de la garantie constitutionnelle d’égalité de genres de notre Constitution.»
La Cour suprême a poursuivi son raisonnement:
«C’est maintenant une règle acceptée de l’interprétation juridique qu’il faut porter son attention sur les conventions et normes internationales pour interpréter le droit interne lorsqu’il n’y a pas d’incompatibilité entre eux et qu’il existe un vide dans la loi nationale.»
La Cour suprême s’est ensuite référée à des décisions australiennes et a conclu:
«Il n’y a pas de raisons pour que ces conventions et normes internationales ne soient pas utilisées pour interpréter les droits fondamentaux expressément garantis par la Constitution de l’Inde qui consacre le concept essentiel d’égalité des genres dans toutes les sphères de l’activité humaine.»
Une fois justifiée la référence aux instruments internationaux, la Cour suprême de l’Inde s’est basée sur la Recommandation générale n° 19 du Comité des Nations Unies pour l’élimination de toute forme de discrimination contre les femmes (CEDAW) pour définir les actions et situations pouvant être qualifiées de harcèlement sexuel. Enfin, la Cour suprême a suivi les lignes directrices du Comité pour formuler des mesures de protection contre le harcèlement ainsi que des mécanismes pour assurer la réparation des dommages subis par les victimes.