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Cour suprême de justice, Ekmekdjian c. Sofovich, 7 juillet 1992, E.64.XXIII

Constitution nationale de l’Argentine

Article 31

La présente Constitution, les lois de la Nation adoptées en sa conséquence par le Congrès et les traités signés avec les puissances étrangères forment la loi suprême de la Nation; les autorités de chaque province sont tenues de s’y conformer, nonobstant toute disposition contraire contenue dans les lois ou constitutions provinciales sauf, pour la province de Buenos Aires, les traités ratifiés après le Pacte du 11 novembre 1859. 

Article 75, paragraphe 22

(…) Les traités et concordats possèdent un rang supérieur aux lois. Dans leurs conditions d’application, la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme; la Déclaration universelle des droits de l’homme; la Convention américaine relative aux droits de l’homme; le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels; le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et son protocole facultatif; la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide; la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale; la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes; la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et la Convention relative aux droits de l’enfant ont rang constitutionnel, ne dérogent à aucun article de la première partie de la présente Constitution et doivent être considérés complémentaires des droits et garanties reconnus par celle-ci. (…)

Pays:
Argentine
Sujet:
Type d’utilisation du droit international:
Résolution directe du litige sur le fondement du droit international
Type d’instruments utilisés:

Traités ratifiés;1 jurisprudence internationale2

Liberté de la presse/ Dignité humaine/ Droit de réponse/ Supériorité des traités internationaux ratifiés sur les lois nationales/ Applicabilité directe des dispositions d'un traité international

Sur la base du droit de réponse qu’il estimait pouvoir invoquer en vertu de l'article 14 1) de la Convention américaine relative aux droits de l'homme ratifiée par l'Argentine, le requérant intenta un recours pour violation des libertés et des droits fondamentaux – procédure d'amparo – au civil auprès de la Cour nationale d'appel à l'encontre du présentateur d'un programme télévisé qui avait refusé, au cours de son émission, de lire une lettre répondant à un journaliste qui avait précédemment émis des propos considérés comme des imputations diffamatoires par le plaignant.

En première instance, la requête du demandeur avait été rejetée, au motif, entre autres, que le droit de réponse n’avait pas de caractère exécutoire puisque la Convention américaine relative aux droits de l'homme elle-même l'attribue «dans les conditions prévues par la loi», ce qui empêche sa mise en œuvre automatique tant que ses dispositions de fond ne sont pas réglementées et qu'aucune procédure ne règle son exercice, ce que la législation argentine n'avait pas fait à l'époque.

Ce rejet motiva le dépôt d'une action par le requérant auprès de la Cour suprême de justice. Celle-ci, devait non seulement déterminer si le droit de réponse constituait un recours efficace pour palier l'incapacité de défendre leur dignité humaine que certaines personnes peuvent éprouver vis-à-vis des moyens de communication mais devait également examiner si le droit de réponse, consacré par la Convention américaine, était directement applicable dans le droit national argentin ou si une législation complémentaire était nécessaire.

Au moment du jugement, la réforme constitutionnelle de 1994, qui reconnaît expressément la prééminence des traités internationaux ratifiés sur les lois, n'avait pas encore été effectuée. En outre, jusqu’à ce jugement, la jurisprudence de la Cour suprême de justice d'Argentine suivait une position «dualiste» en ayant estimé dans plusieurs jugements que l'application des traités internationaux ratifiés dans le droit national restait subordonnée à la transposition législative de leur contenu.

Avec cette affaire, la Cour opéra un changement fondamental de jurisprudence en abandonnant d’une part la théorie «dualiste» et en reconnaissant la supériorité hiérarchique des traités ratifiés sur la législation nationale et, d'autre part, en adoptant de surcroît une appréciation large du caractère directement applicable des dispositions des traités internationaux.

Afin de reconnaître la supériorité des traités ratifiés sur les lois nationales compte tenu du manque de dispositions constitutionnelles expresses à ce sujet, la Cour se fonda sur la ratification par l'Argentine de la Convention de Vienne sur le droit des traités et déclara:

«La Convention de Vienne sur le droit des traités, approuvée par la loi 19 865, ratifiée par le pouvoir exécutif national le 5 décembre 1972 et en vigueur depuis le 27 janvier 1980, confère au droit international conventionnel la primauté sur le droit national. Désormais, cette priorité hiérarchique fait partie intégrante du système juridique argentin. La Convention constitue un traité international, valable d'un point de vue constitutionnel, qui attribue la priorité aux traités internationaux par rapport à la loi nationale dans le cadre du droit interne; il s'agit d'une reconnaissance par le droit national de la primauté du droit international.»

Cette Convention a modifié la situation du système juridique argentin telle que considérée dans les jugements précédents: 257:99 et 271:7 (Loi, 43-458; 131-773), puisque l'hypothèse juridique selon laquelle «il n'existe pas de fondement normatif pour accorder une priorité» au traité par rapport à la loi n'est déjà plus exacte. Ce fondement normatif réside dans l'article 27 de la Convention de Vienne en vertu duquel «une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d'un traité». À ce propos, la Cour a déclaré «que la nécessaire application de l'article 27 de la Convention de Vienne impose aux organes de l'État argentin d'accorder la primauté au traité dans le cadre d'un conflit éventuel avec une quelconque norme interne contraire ou en cas d’omission de formuler des dispositions qui, dans leurs effets, équivalent à une violation du traité international selon les termes de l'article 27 précité.»

Ce principe général étant posé, il fallait encore déterminer si l'article 14 1) la Convention américaine relative aux droits de l'homme reconnaissait un droit directement opposable devant les tribunaux argentins même si son contenu n'avait pas été développé par la législation nationale.

Pour déterminer sa position, la Cour se référa à un avis consultatif de la Cour interaméricaine des droits de l'homme qui estimait l'article 14 1) du Pacte directement applicable. La Cour interaméricaine, organe compétent pour interpréter la Convention américaine relative aux droits de l'homme, déclara dans un de ses avis que la Convention est destinée à reconnaître les droits et les libertés des personnes et non à habiliter les États à le faire, estimant ainsi que lorsque le Pacte établit que le droit de réponse s'exerce «dans les conditions prévues par la loi», il ne se réfère qu'à des questions strictement procédurales (publication de la réponse, délai pour exercer le droit, etc.) propres à chaque système juridique national.

Sur la base de ce qui précède, la Cour suprême de justice déclara:

«lorsque la Nation ratifie un traité qu'elle a conclu avec un autre État, elle s'oblige au niveau international à ce que ses organes administratifs et juridictionnels l'appliquent aux situations prévues par ce traité, pour autant qu'il contienne des descriptions suffisamment précises de ces situations qui rendent possible son application immédiate. Une norme est exécutoire dès lors qu'elle est prévue pour une situation réelle dans laquelle elle peut agir immédiatement, sans que le congrès ne doive créer des institutions»3; «L'interprétation textuelle selon laquelle toute personne – a le droit à – balaie le doute sur l'existence du caractère exécutoire invoqué.»4

En vertu de la Convention de Vienne et de la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, la Cour suprême de justice d’Argentine changea non seulement de position vis-à-vis de jugements antérieurs qui avaient nié le caractère exécutoire du droit de réponse dans le droit positif interne, mais modifia également radicalement sa jurisprudence vis-à-vis de la valeur des traités ratifiés au sein du système juridique argentin. De cette façon, la Cour fit droit aux prétentions du requérant, révoqua l’arrêt de la Cour d’appel et condamna la partie défenderesse à procéder à la lecture de la lettre écrite par le requérant lors de son émission télévisée.


1 Convention américaine relative aux droits de l’homme (« Pacte de San José de Costa Rica »), 1969; Convention de Vienne sur le droit des traités, 1969.

2 Cour interaméricaine des droits de l’homme.

3 Page 8 de l’arrêt.

4 Page 8 de l’arrêt.

Texte intégral de la décision