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Cour suprême, Asociación de Trabajadores del Estado (À.T.E.) c. Ministère du Travail, 11 novembre 2008, À. 201. XL

Constitution nationale de l’Argentine

Article 31

La présente Constitution, les lois de la Nation adoptées en sa conséquence par le Congrès et les traités signés avec les puissances étrangères forment la loi suprême de la Nation; les autorités de chaque province sont tenues de s’y conformer, nonobstant toute disposition contraire contenue dans les lois ou constitutions provinciales sauf, pour la province de Buenos Aires, les traités ratifiés après le Pacte du 11 novembre 1859. 

Article 75, paragraphe 22

(…) Les traités et concordats possèdent un rang supérieur aux lois. Dans leurs conditions d’application, la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme; la Déclaration universelle des droits de l’homme; la Convention américaine relative aux droits de l’homme; le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels; le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et son protocole facultatif; la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide; la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale; la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes; la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et la Convention relative aux droits de l’enfant ont rang constitutionnel, ne dérogent à aucun article de la première partie de la présente Constitution et doivent être considérés complémentaires des droits et garanties reconnus par celle-ci. (…)

Pays:
Argentine
Sujet:
Liberté syndicale
Type d’utilisation du droit international:
Interprétation du droit national à la lumière du droit international
Type d’instruments utilisés:

traités ratifiés;1 instruments non soumis à ratification;2 travaux des organes de contrôle internationaux;3 jurisprudence internationale4

Associations syndicales de travailleurs/ Constitutionnalité/ Liberté d’association/ Droits des travailleurs/ Liberté syndicale/ Statut syndical/ Interprétation du droit national à la lumière du droit international

Dans le droit interne argentin, l’article 41, alinéa a, de la loi n° 23551 (loi relative aux associations syndicales) dispose que les délégués du personnel et les membres des commissions internes et des organisations syndicales similaires, prévues par la loi, doivent être affiliés à la respective association syndicale dotée du statut syndical, et être élus dans des élections organisées par celle-ci.

Le modèle syndical argentin permet, dans le cadre d’une même activité, la coexistence de différents syndicats, sur simple inscription dans un registre tenu par le ministère du Travail de la nation, mais une seule organisation (la plus représentative) a le statut syndical qui lui donne droit à la pleine représentation syndicale.

Dans le présent cas, une organisation n’ayant pas le statut syndical - l’Association des travailleurs de l’État (ATE) - a convoqué des élections pour élire des délégués. Cette convocation a été rejetée par l’entité syndicale ayant le statut syndical - l’Union du personnel civil des forces armées (PECIFA) - et déclarée invalide, au siège administratif, par la Direction nationale des associations syndicales, dont la décision a été confirmée par le ministère du Travail. Dans le recours judiciaire, la Cour d’appel nationale du travail a confirmé la décision du ministère du Travail et la procédure s’est terminée auprès de la Cour suprême de justice de la nation par voie de recours extraordinaire.

La Cour a analysé le contenu du droit à la liberté syndicale individuelle consacré par l’article 14 de la Constitution dans ses dimensions individuelle et collective. Pour cet examen, elle a recouru à la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme:

« Comme l’a statué la Cour interaméricaine des droits de l’homme, l’article 16.1 de la Convention américaine établit « littéralement » que « les personnes placées sous la protection de la Convention jouissent non seulement du droit et de la liberté de s’associer librement à d’autres, sans intervention des autorités publiques limitant ou entravant l'exercice de ce droit, qui est un droit de chaque individu » mais aussi que ces personnes « jouissent du droit et de la liberté de chercher la réalisation commune d’un objectif licite, sans pressions ni intromissions susceptibles d’altérer ou de dénaturer sa finalité » (affaire Huilca Tecse c. Pérou, par. 69 et sa citation). La liberté d’association en matière de travail, donc, ainsi que dans sa dimension individuelle, « ne se limite pas à la reconnaissance théorique du droit à former des syndicats, mais couvre également le droit à utiliser tous les moyens idoines pour exercer cette liberté », dans sa dimension sociale  (…) »

La Cour a conclu que la norme nationale argentine, qui était l’objet du recours (article 41, alinéa a, de la loi n° 23551) violait le droit à la liberté d’association syndicale sur les plans individuel et collectif. Ainsi, la Cour observe que cette norme restreint de manière injustifiée :

« premièrement, la liberté des travailleurs qui souhaitent se porter candidats, en ce sens qu’elle les contraint, même si c’est de manière indirecte, à être affiliés à l’association syndicale dotée du statut syndical, malgré l’existence dans ce contexte d’une autre association simplement enregistrée; et deuxièmement, la liberté de celles-ci [les entités syndicales qui sont enregistrées], en les empêchant d’exercer leur activité dans l’un des aspects et objectifs les plus élémentaires pour lesquels elles ont été créées ».

Au sujet de l’aspect collectif du droit à la liberté d’association syndicale, la Cour a construit son interprétation de ce droit constitutionnel dans le cadre du système des normes internationales et de la jurisprudence des organes de contrôle de l’OIT, en particulier en ce qui concerne les prérogatives que l’on peut conférer aux syndicats plus représentatifs sans pour autant violer le droit des travailleurs à rejoindre le syndicat de leur choix et le droit des organisations syndicales d’organiser leur activités et d’élire librement leurs représentants :

« [C]et agencement conceptuel correspond à l’interprétation de la convention n° 87 et aux travaux de deux organes de contrôle de l’OIT. [...] À cet égard, la Commission d'experts a récemment rappelé à l’État argentin que « le critère de plus grande représentativité ne devrait pas conférer au syndicat le plus représentatif des privilèges qui vont au-delà de la priorité de représentation dans les négociations collectives, dans les consultations avec les autorités et dans le choix des délégations devant les organismes internationaux » (Observation sur la convention (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, Argentine (ratification: 1960), 2008). […]

(Et), en 1989, dans ses observations sur la loi 23.551, la Commission d’experts estima que la disposition de ladite loi, selon laquelle « les fonctions de représentation des travailleurs dans l'entreprise ne peuvent être exercées que par les membres de ces associations dotées du statut syndical » ne lui semblait pas conforme à la convention n° 87. […]

Ces commentaires de la Commission d’experts concordent indubitablement avec ceux du Comité de la liberté syndicale, selon lesquels si, à la lumière du projet du convention n° 87 et de la Constitution de l’OIT (art. 5.3), « le simple fait que la législation d’un pays donné établit une distinction entre les organisations syndicales les plus représentatives et les autres organisations syndicales ne saurait, en soi, prêter à critique », « faut-il » qu'une telle distinction n'ait pas pour conséquence « d'accorder aux organisations les plus représentatives (...) des privilèges allant au-delà d'une priorité en matière de représentation aux fins de négociations collectives, de consultation par les gouvernements, ou encore en matière de désignation de délégués auprès d'organismes internationaux. […] (La liberté syndicale : Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale du Conseil d’administration du BIT, Genève, BIT, quatrième édition (révisée) 1996, paragraphe 309) »

Interprétant la Constitution à la lumière de la convention n° 87 de l’OIT et de la jurisprudence de la Commission d’experts et du Comité de la liberté syndicale de l’OIT, la Cour a frappé l’article d’inconstitutionnalité et a annulé la décision faisant l’objet du recours.


1 Convention américaine relative aux droits de l’homme (« Pacte de San José de Costa Rica »), 1969 ; Pacte international relatif aux droits économiques ; sociaux et culturels, 1966 ; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 1966 ; Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels (« Protocole de San Salvador »), 1988; Convention (n° 87) de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948.

2 Constitution de l’OIT de 1919 ; Déclaration de Philadelphie de 1944 ; Déclaration universelle des droits de l’homme, 1948 ; Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme, 1948 ; Déclaration de l'OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail de 1998.

3 Comité de la liberté syndicale de l’OIT ; Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations de l’OIT ; Comité des droits économiques sociaux et culturels des Nations Unies.

4 Cour interaméricaine des droits de l’homme.

Texte intégral de la décision