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Cour suprême, Adriana María Rossi c. État national – Armée argentine, 9 décembre 2009, R. 1717. XLI

Constitution nationale de l’Argentine

Article 31

La présente Constitution, les lois de la Nation adoptées en sa conséquence par le Congrès et les traités signés avec les puissances étrangères forment la loi suprême de la Nation; les autorités de chaque province sont tenues de s’y conformer, nonobstant toute disposition contraire contenue dans les lois ou constitutions provinciales sauf, pour la province de Buenos Aires, les traités ratifiés après le Pacte du 11 novembre 1859. 

Article 75, paragraphe 22

(…) Les traités et concordats possèdent un rang supérieur aux lois. Dans leurs conditions d’application, la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme; la Déclaration universelle des droits de l’homme; la Convention américaine relative aux droits de l’homme; le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels; le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et son protocole facultatif; la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide; la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale; la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes; la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et la Convention relative aux droits de l’enfant ont rang constitutionnel, ne dérogent à aucun article de la première partie de la présente Constitution et doivent être considérés complémentaires des droits et garanties reconnus par celle-ci. (…)

Pays:
Argentine
Sujet:
Protection contre la discrimination dans l’emploi et la profession , Liberté syndicale
Type d’utilisation du droit international:
Résolution directe du litige sur le fondement du droit international
Type d’instruments utilisés:

Traités ratifiés;1 travaux des organes de contrôle internationaux2

Liberté syndicale/ Conditions d’exercice des activités syndicales/ Protection syndicale/ Protection syndicale accordée uniquement aux représentants de syndicats ayant le statut syndical/ Résolution directe du litige sur le fondement du droit international

La demanderesse, représentante syndicale, a demandé l’annulation de la sanction disciplinaire de suspension et du changement de lieu de travail, décidés par son employeur, l’Armée argentine, sans autorisation judiciaire préalable. La demanderesse alléguait que cette autorisation était nécessaire, car en tant que présidente de l’Association des professionnels de santé de l’hôpital naval et membre titulaire du Conseil fédéral de la Fédération syndicale des médecins de la capitale fédérale, elle devait bénéficier de la protection syndicale consacrée par la constitution et établie par la loi qui garantit que « les travailleurs protégés par les garanties prévues [à l’article 48, qui énonce les garanties pour les travailleurs occupant des « fonctions électives ou représentatives dans des associations syndicales dotées du statut syndical »] ne peuvent pas être licenciés ou suspendus et leurs conditions d’emploi ne peuvent pas être modifiées, à moins d’une résolution judiciaire préalable qui les prive de cette garantie [...] ».

Tant le juge de première instance que la Cour d’appel ont soutenu qu’il était impossible de donner effet à la protection syndicale, parce que la demanderesse appartenait à un syndicat « simplement enregistré », qui était supplanté dans la représentation du personnel par un autre syndicat doté du statut syndical et que ce sont les représentants de cette entité qui bénéficiaient de la protection syndicale, conformément à l’article 52 de la loi sur les associations syndicales.

Pour résoudre l’affaire, la Cour suprême a fait allusion, premièrement, à sa propre jurisprudence, étant donné que l’affaire du 11 novembre 2008, « Association des travailleurs de l’État c. ministère du Travail », constitue un précédent important pour le sujet à traiter. Dans cette affaire, la Cour avait établi que l’article 41 a) de la loi 23551 était inconstitutionnel, car il accordait certains privilèges aux syndicats ayant le caractère de plus grande représentativité, au détriment de l’activité des syndicats simplement enregistrés qui opéraient totalement ou partiellement dans le même domaines.

La Cour a cité la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, afin de souligner l’obligation de protection de la part de l’État en matière de liberté syndicale, qu’elle a comparée à la disposition de l’article 52 de la loi sur les associations syndicales, pour conclure à un manquement à cette obligation :

« On pourrait dire, selon les termes de la Cour interaméricaine des droits de l’homme qui se réfèrent à la liberté syndicale et à la liberté d’association, prévues à l’article 16 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, qu’à l’obligation « négative » de non-ingérence de la part de l’État se juxtapose une obligation « positive » pour ce même État, qui consiste à adopter les mesures appropriées pour protéger et préserver l’exercice de l’activité syndicale “sans crainte” pour les représentants syndicaux, d’autant plus que, dans le cas contraire, “la capacité des groupements à s’organiser afin de protéger leurs intérêts pourrait être réduite”.

En limitant pour les représentants syndicaux d’entités ayant le statut syndical la portée de la protection prévue à l’article 52, la loi 23551, qui régit la liberté syndicale reconnue par la constitution, a enfreint, de manière flagrante et injustifiée, le domaine dans lequel le législateur peut accorder légalement certains privilèges aux associations les plus représentatives. »3

Enfin, pour conclure la déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 52 de la loi sur les associations syndicales, la Cour s’est référée de manière approfondie et rigoureuse aux dispositions de la convention n° 87 et aux observations de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’OIT, qui avait indiqué à maintes reprises à l’État argentin que l’article en question n’était pas conforme aux dispositions de la convention n° 87 :

« À tous ces éléments vient s’ajouter l’apport de la convention n° 87 de l’OIT précédemment citée, un instrument incontestablement fondamental en la matière (…) cet instrument est concluant dans la mesure où il oblige l’État « à prendre toutes mesures nécessaires et appropriées en vue d’assurer aux travailleurs […] le libre exercice du droit syndical » (article 11), et à « s’abstenir de toute intervention de nature à limiter [...] ou à entraver l’exercice légal » du droit des « organisations de travailleurs [...] d’organiser [...] leur activité, et de formuler leur programme d’action » (articles 3.1 et 2).  (…)

Dans ce sens, il convient de prendre en considération en particulier, en raison de son lien spécifique avec la présente question, le critère de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’OIT. En effet, la récente conclusion de cet organe (2008) mentionne que malgré la protection générale prévue à l’article 47 de la loi 23551, « les articles 48 et 52 [de cette loi] établissent en cas de discrimination antisyndicale un traitement plus favorable pour les représentants des organisations ayant le statut syndical, [immunité syndicale], ce qui va au-delà des avantages pouvant être attribués aux organisations les plus représentatives » (…).

En résumé, dès le début, en 1989, la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’OIT s’était prononcée en termes défavorables sur la compatibilité de la loi 23551 de 1988 avec la convention nº 87 (…).

La doctrine du Comité de la liberté syndicale de l’OIT mène aux mêmes résultats, s’agissant de l’argumentation du paragraphe précédent et de ce qui a été formulé par le Tribunal dans le cas souvent cité de l’Association des travailleurs de l’État »4.

Après avoir déclaré la loi inconstitutionnelle dans les termes déjà exposés, la Cour a annulé le jugement contre lequel l’appel avait été interjeté et a renvoyé la procédure au Tribunal pour qu’il se prononce à nouveau conformément à la décision de la Cour ; c’est-à-dire en reconnaissant le droit à l’immunité syndicale, sans distinguer si le représentant appartient à un syndicat ayant le statut syndical ou à un syndicat simplement enregistré.


1 Convention (n° 87) de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; convention américaine relative aux droits de l’homme (« Pacte de San José de Costa Rica »), 1969 ; Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels (« Protocole de San Salvador »), 1988.

2 Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’OIT ; Comité de la liberté syndicale de l’OIT.

3 Considérant n° 4 de la sentence.

4 Considérant n° 6 de la sentence.

Texte intégral de la décision