Cour fédérale de la Charia, Syed Shabbir Hussain Kazmi et autres; Gouvernement du Pakistan et autres, 10 octobre 2005
Pakistan
Travail forcé
Référence au droit international pour renforcer une solution fondée sur le droit national
Traité ratifié;1 instrument non soumis à ratification2
Travail forcé/ Salaires/ Coran/ Référence au droit international pour renforcer une solution fondée sur le droit national
En vertu des droits constitutionnels consacrés par l’article 23 D de la Constitution du Pakistan, les requérants, propriétaires de fours à ciment pour la fabrication de briques, ont porté plainte au sujet de diverses dispositions de la loi de 1992 portant abolition du travail en servitude considérant ces dispositions comme contraires aux commandements du Coran et de la Sunna. Selon les requérants, les définitions « servitude pour dettes », « travail forcé », « travailleur en situation de servitude » et « système de travail forcé » font référence à des pratiques qui existent au sein du système Peshgi3 qui prédomine dans le secteur de la brique. Les plaignants ont affirmé que puisque de telles pratiques n’étaient pas contraires à l’Islam, elles ne pouvaient pas être déclarées illégales par le biais d’une loi. Ils ont également demandé que la suppression du système Jamadari soit jugée contraire au Coran,4 puisqu’il s’agissait de l’unique moyen dont disposent les propriétaires d’usine de production de briques pour contrôler la productivité de leurs travailleurs.
La Cour fédérale de la charia a souligné l’importance cruciale de la loi dans son ensemble, puisqu’elle visait à empêcher et à mettre fin à l’institution du travail forcé, non seulement dans le secteur de la brique, mais également dans les autres secteurs. La Cour a également jugé que la loi était conforme à la législation internationale, en particulier à la Déclaration universelle des droits de l’homme et à la convention n° 29 de l’OIT.
« Le 10 juin 1930, la Conférence générale de l’Organisation internationale du Travail a convoqué une conférence à Genève et a adopté certaines propositions visant à revêtir la forme d’une convention internationale sur le travail forcé ou obligatoire. Le Pakistan a ratifié cette convention connue sous le nom de « convention n° 29 sur le travail forcé, 1930 », le 23 décembre 1957. Deux articles sont pertinents dans le cadre du débat soulevé dans ces cas. Ceux-ci stipulent que:
"Article 4: 1) Les autorités compétentes ne devront pas imposer ou laisser imposer le travail forcé ou obligatoire au profit de particuliers, de compagnies ou de personnes morales privées. 2) Si une telle forme de travail forcé ou obligatoire au profit de particuliers, de compagnies ou de personnes morales privées existe à la date à laquelle la ratification de la présente convention par un Membre est enregistrée par le Directeur général du Bureau international du Travail, ce Membre devra supprimer complètement ledit travail forcé ou obligatoire dès la date de l'entrée en vigueur de la présente convention à son égard.
Article 5: 1) Aucune concession accordée à des particuliers, à des compagnies ou à des personnes morales privées ne devra avoir pour conséquence l'imposition d'une forme quelconque de travail forcé ou obligatoire en vue de produire ou de recueillir les produits que ces particuliers, compagnies ou personnes morales privées utilisent ou dont ils font le commerce. 2) Si des concessions existantes comportent des dispositions ayant pour conséquence l'imposition d'un tel travail forcé ou obligatoire, ces dispositions devront être rescindées aussitôt que possible afin de satisfaire aux prescriptions de l'article premier de la présente convention." »5
La Cour a ensuite souligné que l’Islam avait consacré le principe du respect strict des droits de l’homme depuis 500 ans. À cet égard, la Cour a jugé que les définitions, objets du différend, ne violaient aucun commandement de l’Islam; au contraire, les définitions visaient à réaliser les idéaux consacrés dans le Coran et la Sunna concernant la défense de la dignité humaine en général et la protection des droits fondamentaux des classes populaires. Finalement, la Cour a déclaré que la loi avait fait ce qui s’imposait en abolissant les systèmes Peshgi et Jamadari puisque ces systèmes tiraient profit du faible niveau d’éducation des travailleurs en vue de les exploiter.
Compte tenu du Coran, de la Sunna et de la convention n° 29 de l’OIT, la Cour en a conclu que la loi portant abolition du travail en servitude ne violait aucun commandement de l’Islam et que, par conséquent, la demande des requérants était rejetée.