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Cour européenne des droits de l’homme, Deuxième Section, Sidabras et Dziautas c. Lituanie, 27 juillet 2004, requêtes nos 55480/00 et 59330/00

Cours:
Cour européenne des droits de l’homme
Sujet:
Protection contre la discrimination dans l’emploi et la profession
Type d’utilisation du droit international:
Interprétation du droit européen des droits de l’homme à la lumière du droit international
Type d’instruments utilisés:

Convention de l’OIT;1 travaux des organes de contrôle internationaux2

Discrimination sur la base d’activités politiques préalables/ Interprétation de la Convention européenne des droits de l’homme avec référence au droit international

La loi lituanienne sur l’évaluation du comité pour la sécurité d’État de l’URSS (NKVD, NKGB, MGB, KGB) et des activités désormais exercées par les anciens employés permanents de l’organisation (« loi sur le KGB ») contenait une liste de 395 positions au sein de la section lituanienne des services de sécurité soviétiques et stipulait que toute personne qui avait occupé une de ces fonctions devait être considérée comme un « ancien agent du KGB », sauf si une exception au titre de l’article 3 de la loi sur le KGB s’appliquait. En outre, l’article 2 de la loi KGB prévoyait qu’un « ancien agent du KGB » ne pouvait postuler à un emploi dans certaines activités de diverses branches du secteur privé entre 1999 et 2009.

Les requérants étaient des ressortissants lituaniens qui avaient occupé au préalable différentes positions au sein du KGB et étaient considérés comme des « anciens agents du KGB » et donc visés par les restrictions prévues à l’article 2 de la loi sur le KGB.

Dans des actions séparées, les requérants entamèrent une procédure devant la Cour administrative suprême de Lituanie, arguant que la décision d’appliquer les restrictions à leur égard devait être levée. Dans les deux cas, la Cour accepta la requête. En appel, les deux affaires furent traitées séparément, et dans les deux cas, la cour d’appel annula la décision de la Cour administrative suprême et confirma l’application des restrictions.

Les requérants introduisirent alors un recours contre la République de Lituanie devant la Cour européenne des droits de l’homme. Pour résumer, les requérants estimaient avoir perdu leur emploi et vu leurs perspectives professionnelles restreintes en raison de la loi sur le KGB, en violation des articles 8, 10 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme.

La Cour discuta des dispositions du droit international relatives aux restrictions à l’emploi pour des motifs politiques. Dans ce contexte, la Cour fit référence à la convention n° 111 de l’OIT et à l’interprétation faite par la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’OIT dans son étude d’ensemble de 1996.

La Cour fit également référence aux observations de la Commission sur des lois et pratiques similaires en Allemagne, Bulgarie et en ex-Tchécoslovaquie. Elle cita en particulier l’observation de la Commission relative à la Lettonie de 2003:

« La Commission rappelle que des exigences de nature politique peuvent être définies pour un emploi donné mais, pour qu’elles ne contreviennent pas à la convention, elles doivent être limitées aux caractéristiques d’un poste déterminé et être proportionnelles aux exigences inhérentes à l’emploi. La Commission constate que les exclusions définies ci-dessus s’appliquent à l’ensemble de la fonction publique et de la police et non à des emplois, fonctions ou tâches clairement définis. La Commission craint que ces dispositions ne soient beaucoup plus vastes que les exclusions justifiables aux termes de l’article 1, paragraphe 2, de la convention, c’est-à-dire fondées sur les exigences inhérentes à un emploi déterminé. En outre, la Commission rappelle que, pour ne pas être considérées comme discriminatoires en vertu de l’article 4, les mesures en question doivent affecter une personne qui fait individuellement l’objet d’une suspicion légitime de se livrer à une activité préjudiciable à la sécurité de l’État ou dont il est établi qu’elle se livre en fait à cette activité. »3

La Cour se basa sur ces dispositions et sur d’autres arguments pour considérer que les restrictions avaient affecté la protection de la « vie privée » des requérants garantie par l’article 8 de la Convention parce qu’elles avaient sensiblement affecté leur possibilité d’exercer diverses activités professionnelles. La Cour conclut que les restrictions ne violaient pas les droits des requérants aux termes de l’article 10 parce qu’il n’était pas établi que les restrictions avaient porté atteinte au droit des requérants à la liberté d’expression.

L’utilisation de commentaires de la CEACR pour interpréter la Convention européenne des droits de l’homme conduisit la Cour à estimer que les restrictions constituaient une violation de l’article 14, combiné à l’article 8, en ce sens qu’elles « représentaient une mesure disproportionnée  même si est pris en compte la légitimité des buts qu’elle visait»4. La Cour ordonna que la République de Lituanie paie à chaque requérant un montant de 7 000 euros au titre de dommage.


1 Convention (n° 111) de l’OIT concernant la discrimination (emploi et profession), 1958 (ratifiée par la Lituanie le 26 septembre 1994).

2 Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’OIT.

3 Paragraphe 32 de la décision.

4 Paragraphe 61 de la décision.

Texte intégral de la décision