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Cour d’appel nationale, V Chambre, Parra Vera Maxima c. San Timoteo SA conc., 14 juin 2006, n° 144/05 s.d. 68536

Constitution nationale de l’Argentine

Article 31

La présente Constitution, les lois de la Nation adoptées en sa conséquence par le Congrès et les traités signés avec les puissances étrangères forment la loi suprême de la Nation; les autorités de chaque province sont tenues de s’y conformer, nonobstant toute disposition contraire contenue dans les lois ou constitutions provinciales sauf, pour la province de Buenos Aires, les traités ratifiés après le Pacte du 11 novembre 1859. 

Article 75, paragraphe 22

(…) Les traités et concordats possèdent un rang supérieur aux lois. Dans leurs conditions d’application, la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme; la Déclaration universelle des droits de l’homme; la Convention américaine relative aux droits de l’homme; le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels; le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et son protocole facultatif; la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide; la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale; la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes; la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et la Convention relative aux droits de l’enfant ont rang constitutionnel, ne dérogent à aucun article de la première partie de la présente Constitution et doivent être considérés complémentaires des droits et garanties reconnus par celle-ci. (…)

Pays:
Argentine
Sujet:
Licenciement , Liberté syndicale , Protection contre la discrimination dans l’emploi et la profession
Type d’utilisation du droit international:
Création par le juge d’un principe inspiré du droit international
Type d’instruments utilisés:

Traités ratifiés1; travaux des organes de contrôle internationaux;2 jurisprudence internationale3

Licenciement/ Discrimination antisyndicale/ Recours pour violation des libertés et des droits fondamentaux – procédure d'amparo/ Renversement de la charge de la preuve/ Création d’un principe jurisprudentiel inspiré du droit international

Une travailleuse, licenciée pour cause de restructuration, saisit la justice s'estimant victime d’une discrimination antisyndicale. La requérante fit appel du jugement de première instance qui l'avait déboutée, lui refusant la réintégration à son poste de travail et le paiement des salaires dus depuis la date de son renvoi. En première instance, ses prétentions furent rejetées sur le fondement que les témoignages ne permettaient pas d'établir que le licenciement était lié à une attitude discriminatoire de la partie défenderesse. À cet égard, le Tribunal de première instance déclara que lorsqu'il s'agit d'annuler un licenciement considéré comme discriminatoire, il convient d'apporter une preuve ne laissant subsister aucun doute par le biais d’une analyse très stricte des éléments qui la sous-tendent, ce qui, selon le Tribunal, n'était pas le cas dans cette affaire.

La Cour d'appel devait donc déterminer si le licenciement de la requérante constituait un acte discriminatoire posé en représailles des activités syndicales menées par la salariée.

Afin de résoudre cette affaire, la Cour souligna la pertinence du droit international en établissant qu'il doit servir de fondement à toute activité du pouvoir judiciaire argentin en raison de la prévalence que la Constitution de ce pays a attribué aux normes internationales au sein du système juridique argentin :

«La seule invocation des normes de la loi relative au contrat de travail qui réglementent le droit à la protection contre le licenciement abusif et au travail pour rejeter la revendication de la demanderesse serait non seulement indéfendable au regard du système juridique national mais compromettrait également gravement la responsabilité internationale de l'État argentin.»4

En particulier, les magistrats de deuxième instance attribuèrent une importance décisive à la tâche des organes de contrôle de l'OIT en déclarant que:

«la réforme de la Constitution argentine de 1994 a conféré une valeur constitutionnelle à plusieurs traités, déclarations et pactes internationaux sur les droits de la personne, notamment à la Convention américaine relative aux droits de l'homme (…) Les rapports, études et autres opinions constitutives de la doctrine des organes de contrôle de l'Organisation internationale du Travail et d'une manière générale, les opinions et les décisions adoptées par les organes internationaux de surveillance et d'application des traités, des pactes et des déclarations universelles des droits de la personne qui ont valeur constitutionnelle et supra légale doivent constituer des guides incontournables pour son interprétation et son application par les tribunaux argentins.»5

Plus spécifiquement, la Cour se prononça sur la «jurisprudence» de la Commission d'experts pour l’application des conventions et recommandations et du Comité de la liberté syndicale de l'OIT en déclarant que «la connaissance de cette jurisprudence est particulièrement importante pour pouvoir apprécier la portée des différentes normes contenues dans une convention.»6

Sur le fondement de ces sources, la décision de la juridiction d’appel différa de celle de première instance, en considérant d'abord que les difficultés de preuve constituent l'un des plus grands obstacles à l'obtention d'une protection efficace contre les actes de discrimination commis par des particuliers. En ce sens, la Cour établit que lorsque le travailleur s'estime victime de discrimination, pour répondre aux exigences de protection de ses droits fondamentaux et aux difficultés de la preuve du fait générateur, il convient de procéder à un transfert des règles traditionnelles de la distribution de la charge de la preuve dès lors que le travailleur peut «apporter un indice raisonnable du fait que l'action de la société lèse son droit fondamental, commencement de preuve destiné à mettre en évidence, lorsque c’est le cas, le motif déguisé de celle-ci.»

Pour confirmer le bien-fondé du renversement de la charge de la preuve considérée comme décisive dans ce cas, les magistrats de la juridiction de deuxième instance s’inspirèrent de l'étude d’ensemble de la Commission d'experts concernant la convention n° 111 de l'OIT relative à la discrimination (emploi et profession)7.

Sur le fondement de ce principe, la juridiction d’appel estima que le caractère discriminatoire du licenciement de la travailleuse était démontré. Quant à la sanction applicable pour ce renvoi, les membres de la Cour se référèrent à plusieurs dispositions, dont l'article 1 de la convention n° 98 de l'OIT qui prévoit que les travailleurs doivent bénéficier d'une protection adéquate contre tout acte de discrimination antisyndicale. À ce propos, la juridiction mentionna la position du Comité de la liberté syndicale «qui souligne qu'il n'apparaît pas qu'une protection suffisante contre les actes de discrimination antisyndicale visés par la convention n° 98 soit accordée par une législation permettant, en pratique, aux employeurs, à condition de verser l'indemnité prévue par la loi pour tous les cas de licenciement injustifié, de licencier un travailleur si le motif réel en est son affiliation ou son activité syndicale.»

S'inspirant du travail mené par les organes de contrôles de l'OIT, la Cour d'appel nationale d’Argentine décida de révoquer le jugement de première instance, de déclarer la nullité du licenciement et la réintégration de la travailleuse, estimant qu'étant donné les faits préalables à la rupture du contrat de travail, il s'agissait effectivement d'un acte de discrimination antisyndicale.


1 Convention (n°87) de l'OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; Convention (n° 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949Convention (n°111) de l'OIT concernant la discrimination (emploi et profession), 1958; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 1966; Convention américaine relative aux droits de l’homme (« Pacte de San José de Costa Rica »), 1969.

2 Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations de l'OIT, Comité de la liberté syndicale de l'OIT.


3 Cour interaméricaine des droits de l'homme.

4 P. 25 de l’arrêt.

5 Voir p. 10 de l’arrêt.

 

Texte intégral de la décision