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Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne, 18 novembre 2003, 1 BvR 302/96

Constitution de la République Fédérale d’Allemagne

Article 25: Droit international public

Les règles générales du droit international public font partie du droit fédéral. Elles sont supérieures aux lois et créent directement des droits et des obligations pour les habitants du territoire fédéral.

Pays:
Allemagne
Sujet:
Protection de la maternité , Protection contre la discrimination dans l’emploi et la profession
Type d’utilisation du droit international:
Interprétation du droit national à la lumière du droit international
Type d’instruments utilisés:

Traités ratifiés;1 traités non ratifiés2

Loi obligeant l’employeur à contribuer au paiement des prestations versées aux salariées pendant le congé de maternité/ Nécessité de prendre en compte les dispositions constitutionnelles en matière d’égalité de genres afin d’interpréter le principe de la liberté du travail/ Nécessité d’interdire la discrimination dans la pratique/ Interprétation du droit national à la lumière du droit international et référence au droit international pour renforcer une solution fondée sur le droit national

La législation allemande dispose que les femmes en congé de maternité ont le droit de recevoir des prestations en espèces provenant de fonds publics (assurance santé). De plus, l’employeur est tenu de payer aux salariées concernées la différence entre les prestations précitées et leur salaire moyen. Les montants devant être versés par les employeurs s’accrurent au fil du temps du fait de la hausse des salaires alors que le niveau des prestations de l’assurance santé restait inchangé. On notera à cet égard qu’afin d’alléger le fardeau pesant sur les petites entreprises (jusqu’à 30 employés), un système d’assurance obligatoire a été mis en place afin de couvrir les paiements des employeurs.3

Une entreprise allemande entama une action en inconstitutionnalité alléguant que l’obligation pour l’employeur de participer au paiement des prestations en espèce au cours de la maternité violait le droit constitutionnel à la liberté du travail (article 12 1) de la loi fondamentale allemande)4.

La Cour considéra qu’en principe, le partage des coûts induits par la protection de la maternité entre l’État et les employeurs était en accord avec la Constitution. Cependant, dans le cas présent, la Cour décida que les modalités de financement en vigueur étaient inconstitutionnelles dans la mesure où elles violaient les dispositions de la loi fondamentale en matière d’égalité. Celle-ci prévoit dans son article 3 2) que: «Les hommes et les femmes ont des droits égaux. L’État doit promouvoir l’application réelle des droits égaux des hommes et des femmes et prendre des mesures pour éliminer les désavantages qui existent en ce moment.» La Cour releva que ces dispositions avaient pour but la réalisation de l’égalité dans la société et la mise en œuvre de l’égalité de genres dans la pratique.

La Cour considéra que ces finalités étaient en accord avec les obligations internationales de l’Allemagne, en particulier celles découlant de la convention n°111 de l’OIT concernant la discrimination (emploi et profession) et de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, toutes deux requérant l’élimination de la discrimination indirecte et des discriminations dans la pratique. La Cour releva qu’en vertu de ces conventions, si l’État disposait d’une large marge de manœuvre sur la manière de promouvoir l’égalité, les actions de l’État ayant pour effet de créer des discriminations dans la pratique devaient être évitées.

La Cour observa ensuite que les obligations financières accrues auxquelles étaient soumis les employeurs vis-à-vis de la protection de la maternité pouvaient restreindre les opportunités d’emploi des femmes. Pour conforter sa position, la Cour se référa à l’article 6(8) de la convention n° 183 de l’OIT sur la protection de la maternité5, non ratifiée par l’Allemagne. Selon la juridiction, cette disposition était fondée sur la conviction que la responsabilité individuelle des employeurs dans le paiement des prestations en espèce pouvait constituer un obstacle à l’emploi des femmes. La Cour considéra alors qu’il n’était pas nécessaire de déterminer la probabilité selon laquelle le paiement des prestations de maternité constituait à lui seul une cause de non emploi des femmes.

La Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne releva alors qu’un système d’assurance tel que celui en vigueur pour les entreprises ne comptant pas plus de 30 salariés constituait une mesure adéquate pour prévenir la discrimination indirecte contre les femmes sur le marché du travail, en accord avec l’article 3 2) de la loi fondamentale. En revanche, en appuyant donc son raisonnement sur le droit international, la Cour décida que les dispositions législatives attaquées concernant les entreprises de plus de 30 salariés étaient inconstitutionnelles. Elles constituent une violation du droit constitutionnel garantissant le libre choix d'un métier ou d'une profession.


1 Convention (n° 111) de l’OIT concernant la discrimination (emploi et profession), 1958; convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, 1979.

2 Convention (n° 183) de l’OIT sur la protection de la maternité, 2000.

3 Les contributions de chaque employeur à l’assurance sont calculées sur la base du nombre total de salariés employés dans chaque établissement.

4 Article 12 1) de la Loi fondamentale allemande: «Tous les allemands ont le droit de choisir leur métier ou leur profession, leur lieu de travail et de formation. La pratique d’un métier ou d’une profession peut être régulée par ou en vertu d’une loi.»

5 L’article 6 8) de convention n° 183 dispose que: «Afin de protéger la situation des femmes sur le marché du travail, les prestations afférentes au congé visé aux articles 4 et 5 doivent être assurées par une assurance sociale obligatoire ou par prélèvement sur des fonds publics ou d'une manière déterminée par la législation et la pratique nationales. L’employeur ne doit pas être tenu personnellement responsable du coût direct de toute prestation financière de ce genre, due à une femme qu’il emploie, sans y avoir expressément consenti, à moins: a) que cela ait été prévu par la pratique ou par la législation en vigueur dans l’État Membre avant l’adoption de la présente convention par la Conférence internationale du Travail; ou b) qu’il en soit ainsi convenu ultérieurement au niveau national par le gouvernement et les organisations représentatives d’employeurs et de travailleurs.»

Texte intégral de la décision