Conseil d’État, Groupe d’information et de soutien des immigrés et Fédération des associations pour la promotion et l’insertion par le logement, 11 avril 2012, n° 322326
Constitution française
Article 54
Si le Conseil Constitutionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier Ministre, par le Président de l'une ou l'autre assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré qu'un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l'autorisation de ratifier ou d'approuver l'engagement international en cause ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution.
Article 55
Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie.
France
Travailleurs migrants
Résolution directe du litige sur le fondement du droit international
Traité ratifié1
Travailleurs migrants/ Droit au logement opposable/ Invocabilité des traités internationaux/ Résolution directe du litige sur le fondement du droit international
Le Groupe d’information et de soutien des immigrés et la Fédération des associations pour la promotion et l’insertion par le logement avaient introduit une requête visant à l’annulation, pour excès de pouvoir, du décret n° 2008-908 du 8 septembre 2008 relatif aux conditions de permanence de la résidence des bénéficiaires du droit à un logement décent et indépendant. Ce décret modifiait le code de la construction et du logement, plus particulièrement en fixant les conditions de la permanence de résidence exigées des personnes de nationalité étrangère autres que les détentrices d’une carte de résident ou d’un titre conférant des droits équivalents et autres que les personnes relevant de l’article R. 300‑1 du code ci-dessus pour se voir ouvrir un droit opposable au logement.
Le Conseil d’État avait constaté que « le droit à un logement décent et indépendant (…) est garanti par l’État à toute personne qui, résidant sur le territoire français de façon régulière et dans des conditions de permanence définies par décret en Conseil d’État, n’est pas en mesure d’y accéder par ses propres moyens ou de s’y maintenir ». Elle avait également constaté que le décret attaqué déterminait une liste de cinq catégories de titres de séjour permettant à leurs détenteurs de demander le bénéfice du droit opposable au logement, sous la double condition d’une durée de résidence préalable de deux ans sur le territoire national et d’au moins deux renouvellements du titre de séjour détenu et que cette liste ne comprenait pas la carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant » ou « salarié en mission », ni la carte de séjour « compétences et talents ».
Les parties avaient soulevé que ce faisant, le décret méconnaissait l’art. 6 de la convention n° 97 de l’OIT sur les travailleurs migrants.
Après avoir établi l’invocabilité de traités introduits dans l’ordre juridique interne conformément à l’art. 55 de la Constitution à l’appui d’une demande tendant à ce que soit annulé un acte administratif, dès lors qu’ils créent des droits dont les particuliers peuvent directement se prévaloir, le Conseil d’État avait analysé la compatibilité du décret avec la convention n° 97 et il avait observé que :
« l’article 6 1. de la convention n° 97 du 1er juillet 1949 concernant les travailleurs migrants, régulièrement ratifiée, (…) stipule que : « Tout Membre pour lequel la présente convention est en vigueur s'engage à appliquer, sans discrimination de nationalité, de race, de religion ni de sexe, aux immigrants qui se trouvent légalement dans les limites de son territoire, un traitement qui ne soit pas moins favorable que celui qu'il applique à ses propres ressortissants en ce qui concerne les matières suivantes: (…) / iii) le logement (…) / d) les actions en justice concernant les questions mentionnées dans la convention ; que l’article 11 de la convention définit le travailleur migrant comme la personne qui émigre d’un pays vers un autre en vue d’occuper un emploi autrement que pour son propre compte; que l’engagement d’appliquer aux travailleurs migrants un traitement qui ne soit pas moins favorable que celui appliqué aux ressortissants nationaux en matière de droit au logement et d’accès aux procédures juridictionnelles permettant de faire valoir ce droit ne saurait être interprété comme se bornant à régir les relations entre États et, ne requérant l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets, se suffit à lui-même ».
À la lumière de cela, le Conseil d’État avait conclu que :
«les stipulations précitées peuvent utilement être invoquées à l’encontre du décret attaqué; que celui-ci n’est pas compatible avec ces stipulations en tant, d’une part, qu’il subordonne le droit au logement opposable de certains travailleurs migrants au sens de cette convention à une condition de résidence préalable de deux ans sur le territoire national qui ne s’applique pas aux ressortissants nationaux, d’autre part, qu’il exclut de son champ d’application des titres de séjour susceptibles d’être attribués à des personnes pouvant avoir la qualité de travailleur migrant au sens de cette convention, tels que les travailleurs temporaires ou les salariés en mission ».
Ainsi, le Conseil d’État annula la disposition attaquée du décret en tant qu’illégale puisque contraire à la convention n° 97 de l’OIT.
1 Convention (n° 97) de l’OIT sur les travailleurs migrants (révisée), 1949.