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Cour suprême du Canada. Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 8 juin 2007, 2007 CSC 27 ; [2007] 2 R.C.S. 391

Pays:
Canada
Sujet:
Liberté syndicale , Négociation collective
Type d’utilisation du droit international:
Interprétation du droit national à la lumière du droit international
Type d’instruments utilisés:

Traités ratifiés;1 travaux des organes de contrôle internationaux2

Charte canadienne des droits et libertés/ Liberté d’association/ Droit de négociation collective/ La liberté syndicale garantie par la Constitution comprend-elle le droit de négociation collective/ Interprétation du droit national à la lumière du droit international

Un pourvoi en appel a été déposé devant la Cour suprême du Canada, dans lequel les appelants contestent la constitutionnalité de la partie 2 de la Health and Social Services Delivery Improvement Act (SBC 2002) au motif qu’elle porte atteinte à la Charte canadienne des droits et libertés.

Partie 2 de la loi accorde aux employeurs une plus grande latitude pour aménager à leur gré leurs relations avec leurs employés et, dans certains cas, pour procéder d’une manière que les conventions collectives existantes et passées n’auraient pas autorisée, et ce, sans se conformer aux exigences qui auraient été normalement applicables. Elle modifie les droits liés aux transferts et affectations dans différents lieux de travail (art. 4 et 5), la sous-traitance (art. 6), le statut des employés contractuels (art. 6), les programmes de sécurité d’emploi (art. 7 et 8), les droits de mise en disponibilité et de supplantation (art. 9). De plus, l’article 10 invalidait toute partie d’une convention collective, présente ou future, incompatible avec la partie 2, et toute convention collective visant à modifier ces restrictions.

La Cour était confrontée à la question juridique de déterminer si la liberté d’association garantie dans l’article 2 (d) de la Charte protège les droits de négociation collective et, si c’est le cas, d’examiner si ledit droit avait été enfreint par la loi adoptée. En statuant sur le premier point, la Cour apporte un changement de grande importance à sa jurisprudence, étant donné qu’elle reconnaît que les raisons invoquées par le passé pour expliquer que le droit à la liberté d’association ne s’étendait pas à la négociation collective ne sont pas valables, car cela ne serait pas conforme avec la tradition de reconnaissance par le Canada de la négociation collective. En outre, la Cour estime que la négociation collective fait partie intégrante de la liberté d’association selon le droit international, qui peut inspirer l’interprétation des garanties reconnues par la Charte :

« Dans le système fédéral canadien, il revient au Parlement fédéral et aux législatures provinciales d’incorporer les accords internationaux au droit interne. L’examen des obligations internationales du Canada peut toutefois aider les tribunaux chargés d’interpréter les garanties de la Charte (voir Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), […]). L’application de cet outil d’interprétation en l’espèce milite en faveur de la reconnaissance du processus de négociation collective comme partie inhérente à la liberté d’association garantie par la Charte.

L’adhésion du Canada à des instruments internationaux reconnaissant l’existence du droit de négocier collectivement appuie la thèse que ce droit est protégé à l’al. 2 (d) de la Charte […] »3

Pour l’interprétation de l’art. 2 (d) de la Charte, la Cour présente comme principales sources le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la convention no 87 de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical. Le Canada a ratifié ces trois instruments. Cela signifie que ces documents dégagent non seulement le consensus international, mais aussi des principes que le Canada s’est lui‑même engagé à respecter:

« Le PIDESC, le PIDCP et la convention no 87 accordent une protection aux activités des syndicats d’une manière qui permet de croire que le droit de négociation collective est compris dans la liberté d’association. L’interprétation de ces instruments, au Canada et à l’étranger, permet non seulement de confirmer l’existence d’un droit de négociation collective en droit international, mais tend également à indiquer qu’il y a lieu de reconnaître ce droit dans le contexte canadien en vertu de l’al. 2 (d). »4

La Cour analyse le contenu de la convention n° 87 en faisant référence à l’interprétation de cette dernière par les organes de contrôle de l’OIT:

« La convention no 87 a elle aussi été interprétée comme ayant pour effet de protéger la négociation collective dans le cadre de la liberté d’association. La partie I de la convention, « Liberté syndicale », établit le droit des travailleurs de constituer librement des organisations qui sont régies par des statuts et règlements administratifs élaborés par les travailleurs et qui peuvent s’affilier à des organisations internationales. Dans ses motifs dissidents dans le Renvoi relatif à l’Alberta, p. 355, le juge en chef Dickson s’est appuyé sur la convention no 87 pour énoncer le principe que « la liberté de constituer et d’organiser des syndicats doit, même dans le secteur public, comprendre la liberté d’exercer les activités essentielles des syndicats, telles la négociation collective et la grève, sous réserve de limites raisonnables ».

La convention no 87 a été fréquemment interprétée par le Comité de la liberté syndicale, la Commission d’experts et des Commissions d’enquête de l’OIT. Ces interprétations ont été décrites comme constituant la « pierre angulaire du droit international en matière de liberté syndicale et de négociation collective ». […] Bien qu’elles ne soient pas contraignantes, elles clarifient la portée de l’al. 2 (d) de la Charte tel qu’il est censé s’appliquer à la négociation collective […] »5

Suite à cette analyse, la Cour conclut que l’art. 2 (d) devrait être interprété comme ayant pour effet de protéger le droit d’employés de s’associer en vue d’atteindre des objectifs liés au travail par un processus de négociation collective. Elle ajoute que cet article protège contre toute ingérence substantielle de l’État et elle rappelle le devoir de négocier de bonne foi. Elle établit par ailleurs que la question de l’existence d’une atteinte substantielle doit être tranchée, compte tenu de l’importance des sujets visés pour l’activité collective, de la manière dont la mesure a été mise en œuvre et de l'impact sur le droit collectif de négociation de bonne foi et de consultation.

« Nous concluons donc que les art. 4, 5 et 9 et les par. 6 (2) et (4), appliqués conjointement avec l’art. 10, constituent une ingérence dans le processus de négociation collective, soit en mettant de côté les processus de négociation collective antérieurs, soit en compromettant à l’avance l’intégrité des futurs processus de négociation collective sur ce sujet, ou les deux à la fois. Il nous faut déterminer si ces modifications entravent de façon substantielle l’exercice du droit associatif des employés de participer à un processus de négociation collective des questions concernant le milieu de travail et les conditions de travail. […]

Les dispositions concernant la sous‑traitance (par. 6 (2) et (4)), la mise en disponibilité (al. 9 (a), (b) et (c)) et la supplantation (al. 9 (d)) portent sur des questions d’une importance capitale pour la liberté d’association. Les restrictions aux conventions collectives qui limitent le pouvoir discrétionnaire de l’employeur de mettre en disponibilité affectent la capacité des employés de conserver un emploi stable, l’une des protections les plus essentielles qu’un syndicat obtient pour les employés. De même, les clauses de conventions collectives restreignant le droit de la direction de recourir à la sous-traitance permettent aux travailleurs de bénéficier de la sécurité d’emploi. Enfin, les droits de supplantation font partie intégrante du régime d’ancienneté normalement prévu dans les conventions collectives et, à ce titre, représentent une protection d’une importance considérable pour les syndicats […].

On ne saurait tirer une conclusion identique à propos des transferts et des nouvelles affectations que visent les art. 4 et 5 de la Loi. (…) ces dispositions apportent des modifications relativement mineures aux régimes existants de transfert et de nouvelle affectation des employés. D’importantes protections subsistaient. Il est vrai que la Loi retirait désormais ces questions de la table des négociations collectives. Cependant, tout bien considéré, on ne peut pas affirmer que les art. 4 et 5 entravent de façon substantielle la capacité du syndicat d’engager des négociations collectives et qu’il s’agisse d’un cas donnant droit à la protection prévue à l’al. 2d) de la Charte».6

La Cour conclut que les art. 6 (2), 6 (4) et 9 de la partie 2 (appliqués conjointement avec l’art. 10) de la loi sont inconstitutionnels parce qu’ils portent atteinte de manière substantielle et injustifiée au droit à la négociation collective protégé par l’art. 2 (d) de la Charte et déclare que les autres dispositions contestées sont constitutionnelles parce qu’elles ne constituent pas une atteinte substantielle.


1 Convention (n° 87) de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 1966; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 1966.

2 Comité de la liberté syndicale de l’OIT; Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’OIT; Commissions d’investigation et de conciliation en matière de liberté syndicale de l’OIT.

3 Paragraphes 69 et 70 de l’arrêt.

4 Paragraphe 72 de l’arrêt.

5 Paragraphes 75 et 76 de l’arrêt.

6 Paragraphes 128, 130 et 131 de l’arrêt.

Texte intégral de la décision