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Cour suprême du Canada, Dunmore c. Ontario (Procureur général), 20 décembre 2001, 2001 CSC 94 ; [2001] 3 R.C.S. 1016

Pays:
Canada
Sujet:
Protection contre la discrimination dans l’emploi et la profession , Liberté syndicale
Type d’utilisation du droit international:
Référence au droit international pour renforcer une solution fondée sur le droit national
Type d’instruments utilisés:

Traité ratifié;1 traités non ratifiés;2 travaux des organes de contrôle internationaux3

Liberté syndicale/ Exclusion des travailleurs agricoles du régime légal des relations de travail/ Obligation positive de l’État de protéger la liberté syndicale/ Violation de la Charte canadienne des droits et libertés/ Référence au droit international pour renforcer une solution fondée sur le droit national

En 1995, l’article 80 de la loi modifiant des lois en ce qui concerne les relations de travail et l’emploi (LMLRTE) a abrogé la loi de 1994 sur les relations de travail dans l’agriculture (LRTA) qui pour la première fois reconnaissait expressément aux travailleurs agricoles de l’Ontario le droit de se syndiquer. La conjonction de l’article 80 précité et de l’article 3 b) de la loi de 1995 sur les relations de travail (LRT), avait pour effet de mettre fin aux conventions collectives conclues dans le secteur agricole, de révoquer les droits des syndicats qui avaient été accrédités et d’exclure les travailleurs de ce secteur de la protection instituée par la LRT contre les interdictions de common law frappant les activités d’organisation et contre les pratiques patronales s’opposant à la syndicalisation.

Devant les tribunaux ontariens, des travailleurs agricoles, en leur propre nom et au nom de l’Union internationale des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce ont contesté l’abrogation de la LRTA, ainsi que leur exclusion de la LRT. Ils ont soutenu que ces dispositions violaient leur liberté d’association et leur droit à l’égalité reconnus par la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après la Charte), texte à valeur constitutionnelle. La Cour de première instance et la Cour d’appel de l’Ontario ayant toutes deux rejeté leur demande, les requérants ont saisi la Cour suprême du Canada.

Après avoir circonscrit l’objet de la demande et déterminé que la négociation collective et l’exercice du droit de grève n’en faisaient pas partie, la Cour suprême s’est penchée sur l’éventuelle violation de l’article 2 d) de la Charte qui dispose que chacun dispose de la liberté fondamentale de s’associer.

Dans son analyse, la Cour s’est en particulier penchée sur le fait de savoir si les activités collectives des syndicats étaient effectivement protégées par l’article 2 d) de la Charte et si cette disposition imposait à l’État une obligation positive de protection qui serait également applicable aux travailleurs agricoles. À propos de ces deux points, la Cour suprême s’est référée au droit international du travail pour étayer et renforcer son argumentation.

En premier lieu, la Cour s’est attachée à préciser l’objet de l’article 2 d) de la Charte afin de déterminer s’il englobait uniquement l’exercice des droits et libertés individuels exercés collectivement ou s’il comprenait également les activités collectives des syndicats qui ne peuvent être exercées individuellement. La Cour a finalement retenu une interprétation large de l’objet de l’article en se référant au droit international du travail afin de renforcer cette conclusion. Elle a en particulier noté que les décisions du Comité de la liberté syndicale de l’OIT démontraient que la pleine reconnaissance de la liberté d’association impliquait la protection effective des activités à dimensions collectives exercées par les syndicats.

La Cour a par la suite envisagé la principale question juridique soulevée par le litige, consistant à déterminer si, en vertu de l’article 2 d) de la Charte, l’État était tenu d’une obligation positive de protection de la liberté syndicale des travailleurs agricoles. En effet, la législation faisant l’objet de l’action n’interdisait pas aux travailleurs agricoles de se syndiquer mais s’abstenait de leur accorder la protection  reconnue aux autres travailleurs contre les pratiques antisyndicales.

Fondant principalement son raisonnement sur sa jurisprudence antérieure, la Cour a conclu que dès lors qu’il pouvait être prouvé que l’exclusion d’un groupe d’une protection accordée par la loi rendait impossible l’exercice effectif d’une liberté reconnue par la Charte, il incombait à l’État d’étendre le champ d’application de la protection légale. Pour conforter la reconnaissance de l’obligation positive de l’État d’étendre le régime de protection de la liberté syndicale aux travailleurs agricoles, la Cour s’est référée à plusieurs conventions de l’OIT. Se fondant sur les articles 2 et 10 de la convention n° 87 de l’OIT ainsi que sur les conventions nos 11 et 141, la Cour a souligné le caractère central du principe de non-discrimination dans la reconnaissance effective de la liberté syndicale.

Après avoir recueilli la preuve que l’exclusion des travailleurs agricoles du régime de protection légal entravait l’exercice effectif de la liberté syndicale, la Cour suprême du Canada, confortant son raisonnement par la référence aux conventions de l’OIT, a déclaré inconstitutionnels l’article 80 de la LMLRTE ainsi que l’article 3 b) de la LRT.


Texte intégral de la décision