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Cour européenne des droits de l’homme, Siliadin c. France, 26 octobre 2005, Requête n° 73316/01

Cours:
Cour européenne des droits de l’homme
Sujet:
Travailleurs domestiques , Travail des enfants , Travail forcé
Type d’utilisation du droit international:
Interprétation du droit européen des droits de l’homme à la lumière du droit international
Type d’instruments utilisés:

Convention de la OIT1

Travail forcé/ Travail des enfants/ Travail domestique/ Interprétation du droit européen des droits de l’homme à la lumière du droit international 

La requérante, une ressortissante togolaise arrivée en France en 1994 à l’âge de 15 ans, fut obligée de travailler comme domestique à Paris par Mme B., qui avait obtenu l’accord de ses parents grâce à de fausses promesses. La requérante dut ensuite travailler pour une autre famille, qui lui confisqua son passeport et la fit travailler sans rémunération, 15 heures par jour, sept jours par semaine, pendant plusieurs années. Se basant sur l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) sur l’interdiction de l’esclavage et du travail forcé, la requérant déclara que les dispositions pénales en vigueur en France ne lui avaient pas assuré une protection suffisante et efficace contre la « servitude » dans laquelle elle avait été tenue, ou à tout le moins contre le « travail forcé ou obligatoire » auquel elle avait été astreinte.

Pour interpréter l’article 4 de la CEDH quant à la définition du travail forcé, la Cour recourut à la convention n° 29 de l’OIT et analysa les éléments constitutifs d’une situation de travail forcé aux termes de l’article 2 de cette convention. Elle en conclut que la requérante avait été soumise au travail forcé aux sens de l’article 4 de la CEDH. Bien que la requérante ne fût pas sous la menace d’une « peine », elle était dans une situation équivalente quant à la gravité de la menace qu'elle pouvait ressentir parce qu’« adolescente, dans un pays qui lui était étranger, elle était en situation irrégulière sur le territoire français et craignait d'être arrêtée par la police » et que les défenseurs « entretenaient d'ailleurs cette crainte et lui faisaient espérer une régularisation de sa situation. »2

 Quant à savoir si la requérante avait été maintenue en servitude ou en esclavage, la Cour estima que la définition d’esclavage n’était pas applicable, les défenseurs n’ayant pas exercé « un véritable droit de propriété » sur la victime. Elle releva toutefois l’existence des facteurs essentiels constitutifs d’une situation de servitude, à savoir « en plus de l'obligation de fournir à autrui certains services, (...) l'obligation pour le « serf » de vivre sur la propriété d'autrui et l'impossibilité de changer sa condition.»3 

Pour considérer les obligations incombant à la France en vertu de l’article 4 de la CEDH, la Cour se basa sur: i) la convention n° 29 de l’OIT, dont l’article 4 stipule que « [l]es autorités compétentes ne devront pas imposer ou laisser imposer le travail forcé ou obligatoire au profit de particuliers, de compagnies ou de personnes morales privées »; ii) l’obligation pour un État, consacrée par la Convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l’esclavage, d’abolir toute institution ou pratique en vertu de laquelle un enfant ou un adolescent de moins de 18 ans est remis, par ses parents ou par son tuteur, à un tiers, en vue de l'exploitation de son travail; et iii) les articles 19 § 1, 32 et 36 de la Convention relative aux droits de l’enfant, qui obligent les États à prendre toutes les mesures appropriées pour protéger les enfants contre l’exploitation pendant qu’ils sont sous la garde de leurs parents ou des personnes auxquelles ils sont confiés. 

En particulier, la Cour estima que: 

« limiter le respect de l'article 4 de la Convention aux seuls agissements directs des autorités de l'État irait à l'encontre des instruments internationaux spécifiquement consacrés à ce problème et reviendrait à vider celui-ci de sa substance. Dès lors, il découle nécessairement de cet article des obligations positives pour les États, au même titre que pour l'article 3 par exemple, d'adopter des dispositions en matière pénale qui sanctionnent les pratiques visées par l'article 4 et de les appliquer concrètement »4. 

En conclusion, se basant sur les instruments internationaux précités, et en particulier la convention n° 29 de l’OIT, pour interpréter l’article 4 de la CEDH, la Cour déclara que la requérante avait été soumise au travail forcé et à la servitude et que la France avait manqué à ses obligations positifs en ce sens que le Code pénal français n’avait pas assuré à la requérante une protection suffisante et efficace. 



1 Convention (n° 29) de l’OIT sur le travail forcé, 1930; convention supplémentaire relative à l'abolition de l'esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l'esclavage, 1956; convention relative aux droits de l’enfant, 1989.

2 Paragraphe 118 de la décision.

3 Paragraphe 123 de la décision.

4 Paragraphe 89 de la décision.

Texte intégral de la décision