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Cour constitutionnelle, Deuxième chambre, 23/11/1981, n° 38/1981

Constitution de Espagne

Article 10, paragraphe 2

Les normes relatives aux droits fondamentaux et aux libertés que la Constitution reconnaît doivent être interprétées en conformité avec la Déclaration universelle des droits de l’homme et avec les traités et accords internationaux sur les mêmes matières ratifiés par l’Espagne.

Article 96, paragraphe 1

Les traités internationaux valablement adoptés, une fois officiellement publiés en Espagne, font partie de la législation nationale. Leurs dispositions ne pourront faire l’objet d’une dérogation, d’une modification ou d’une suspension que sous la forme prévue dans les traités ou en accord avec les normes générales du droit international.

Pays:
Espagne
Sujet:
Licenciement , Protection contre la discrimination dans l’emploi et la profession , Liberté syndicale
Type d’utilisation du droit international:
Interprétation du droit national à la lumière du droit international
Type d’instruments utilisés:

Traités ratifiés;1 instrument non soumis à ratification;2 travaux des organes de contrôle internationaux3

Licenciement/ Liberté syndicale/ Protection contre la discrimination anti-syndicale/ Recours pour violations des libertés et des droits fondamentaux – procédure d'amparo/ Renversement de la charge de la preuve/ Réintégration dans l'emploi/ Utilisation interprétative du droit international

Plusieurs travailleurs avaient été renvoyés pour motifs économiques un jour après avoir déposé leur candidature à des fonctions de représentants des travailleurs. Ils contestèrent leur licenciement devant le Tribunal du travail et, en appel, devant le Tribunal central du travail.

Les tribunaux ordinaires avaient débouté les demandeurs en estimant que la discrimination antisyndicale n'était pas prouvée, mais ils déclarèrent toutefois la nullité des licenciements pour non-respect des règles de forme. En vertu de la législation en vigueur à ce moment-là, cette nullité donnait la possibilité à l'employeur d'indemniser les travailleurs comme solution de substitution à la réintégration celle-ci n'étant à l’époque obligatoire que vis-à-vis du licenciement illicite de représentants des travailleurs.

En réponse à cet arrêt, les travailleurs entamèrent alors une procédure d'amparo auprès de la Cour constitutionnelle d'Espagne invoquant une violation du principe de la liberté syndicale et exigeant leur réintégration immédiate.

Le règlement de cette affaire posait deux problèmes juridiques majeurs à la Cour constitutionnelle: d'une part, il s'agissait de décider si la protection constitutionnelle de la liberté syndicale impliquait le renversement de la charge de la preuve dans les cas de discrimination syndicale présumée et d'autre part, de déterminer si la protection constitutionnelle de ce principe supposait d'étendre aux candidats aux postes de représentants des travailleurs la réintégration dans l'emploi (nullité radicale) en cas de licenciement antisyndical.

En estimant que «conformément à l'article 10 2) de la Constitution, les textes internationaux ratifiés par l'Espagne constituent des instruments valables pour établir le sens et la portée des droits qu'établit la Constitution», la Cour fit référence aux instruments de l'OIT pour interpréter l’article de la Constitution espagnol, reconnaissant la liberté syndicale. La Cour prit non seulement en considération les conventions de l'OIT ratifiées par l'Espagne, instruments contraignants d'un point de vue juridique, mais fit également appel à des sources non contraignantes, comme les recommandations internationales du travail et les décisions du Comité de la liberté syndicale de l’OIT. Quant à la valeur des recommandations internationales du travail, la Cour déclara «qu'il s'agissait de textes d'orientation qui, sans avoir d'efficacité contraignante, peuvent agir en tant que critères d'interprétation ou d'éclaircissement des conventions.»5

En ce qui concerne l'attribution de la charge de la preuve dans les cas de discrimination antisyndicale, la Cour se fonda sur les travaux du Comité de la liberté syndicale et sur la recommandation n° 143 de l'OIT pour interpréter la Constitution nationale. La Cour déclara que:

«la difficulté de la preuve du caractère antisyndical pourrait être évitée en transférant à l'employeur la preuve de l'existence d'un motif raisonnable de licenciement quelle que soit sa justification officielle et la viabilité substantielle pour rompre la relation de travail. Il s'agit de la solution qui se dégage des décisions du Comité de la liberté syndicale de l'OIT, celles-ci s’appuyant sur  la recommandation n° 143 (III, 6.2 e)), dans le cadre général des "mesures nécessaires et appropriées pour garantir aux travailleurs" la liberté syndicale, rendues obligatoires par les conventions nos 87 (art. 11), 98 (art. 1) et 135 (art. 1).»

La Cour estima par ailleurs que l'absence d'une norme légale qui énonce cette garantie et le fait que la législation protectrice ne soit pas applicable aux candidats au poste de représentant du personnel ne constituaient pas un obstacle à ce que, vis-à-vis de la liberté syndicale, l'on reconnaisse que c'est à l'employeur de prouver que le licenciement, soupçonné d'être discriminatoire, est lié à des motifs raisonnables, étrangers à toute discrimination antisyndicale.

Quant à l'extension de la nullité radicale (avec comme conséquence la réintégration dans l'emploi) comme sanction en cas de licenciement antisyndical de candidats aux postes de représentants des travailleurs, la Cour basa principalement sa décision sur sa propre interprétation de l'article 28 de la Constitution espagnole qui protège la liberté syndicale. La juridiction constitutionnelle affirma que la liberté syndicale était un droit subjectif de tous les travailleurs dont le bénéfice ne se limite pas à leurs représentants et ajouta que la violation d'un droit fondamental requerrait le plein rétablissement de la victime dans ses droits. Par conséquent, tout travailleur renvoyé pour des motifs syndicaux a droit à la réintégration dans l'emploi. Pour soutenir sa décision, la Cour s’appuya sur le paragraphe 7 1) de la recommandation n° 143 de l'OIT qui suggère d'étendre aux candidats la protection renforcée des représentants des travailleurs.

En se servant des conventions de l'OIT ainsi que des instruments non contraignants qui les complètent pour interpréter les dispositions constitutionnelles, la Cour constitutionnelle d’Espagne prononça la nullité radicale des licenciements antisyndicaux même lorsque les victimes ne sont pas des représentants syndicaux et établit le renversement de la charge de la preuve dans les cas de discrimination antisyndicale présumée.


1 Convention (n° 87) de l'OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948convention (n° 98) de l'OIT sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949; convention n° 135 de l'OIT concernant les représentants des travailleurs, 1971.

2 Recommandation (n° 143) de l'OIT concernant les représentants des travailleurs, 1971.

3 Comité de la liberté syndicale de l'OIT.

4 Les conventions de l’OIT ratifiées par l'Espagne constituent des textes invocables en ce qui concerne les droits reconnus dans les articles 14 et 28 1) qui s'intègrent au système national. Des droits individuels découlent de ces normes, voir p. 1 de la décision.

5 Voir p. 2 de la décision.

Texte intégral de la décision