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Cour interaméricaine des droits de l’homme, Baena Ricardo et autres c. Panama, 2 février 2001

Cours:
Cour interaméricaine des droits de l’homme
Sujet:
Liberté syndicale
Type d’utilisation du droit international:
Référence au droit international pour renforcer une solution fondée sur le droit interaméricain
Type d’instruments utilisés:

Conventions de l’OIT et autres traités;1 travaux des organes de contrôle internationaux2

Droits du travail/ Droits syndicaux/ Liberté d’expression/ Droit d’accès à la justice/ Droit à un recours judiciaire effectif/ Référence au droit international pour renforcer une décision fondée sur le droit interaméricain

Le Comité panaméen des droits de l’homme a déposé une plainte devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) contre l’État du Panama pour le licenciement arbitraire de 270 employés de la fonction publique et dirigeants syndicaux, qui avaient participé à diverses manifestations contre la politique gouvernementale pour réclamer leurs droits du travail. Le licenciement a eu lieu après que le gouvernement a accusé ces personnes d’avoir participé à ces manifestations de protestation et d’être les complices d’une insurrection militaire. Au moment du licenciement, une loi (n° 25), abrogée par la suite, avait été invoquée, qui établissait que le traitement des actions judiciaires engagées par les travailleurs à la suite des licenciements relèverait de la juridiction du contentieux administratif et non de celle du travail, comme le prévoit la législation en vigueur.

Toutes les plaintes des travailleurs devant la juridiction du contentieux administratif ont été rejetées. En outre, trois actions en inconstitutionnalité contre la loi n° 25 ont été formées devant la Cour suprême de justice. Ces actions ont été cumulées et par une décision en date du 23 mai 1991, ce tribunal a déclaré que la loi n° 25 était constitutionnelle, sauf un paragraphe de l’article 2, et a ajouté que dans les actions en inconstitutionnalité, on devait se limiter à « déclarer si une loi est ou n’est pas inconstitutionnelle ». Pour cette raison, il ne s’est pas prononcé sur la situation concrète des travailleurs licenciés.

La CIDH a tenté de parvenir à un règlement à l’amiable entre les travailleurs et l’État, sans obtenir de résultats positifs. Le 10 décembre 1997, l’État panaméen a rejeté le rapport de la commission alléguant « des obstacles, des motivations et des fondements juridiques qui l’empêchaient de donner effet aux recommandations émises par la Commission ». La Commission a donc décidé de soumettre l’affaire à la Cour interaméricaine des droits de l’homme.

La Cour a constaté qu’en licenciant des travailleurs de l’État, on avait licencié beaucoup de dirigeants syndicaux, qui étaient impliqués dans une série de revendications. En outre, les syndicalistes et les travailleurs ont été démis de leurs fonctions pour des actes qui ne constituaient pas un motif de licenciement dans la législation en vigueur au moment des faits. Ainsi, elle a établi qu’en conférant à la loi n° 25 un caractère rétroactif, il s’agissait de donner un fondement au licenciement massif de dirigeants syndicaux et de travailleurs du secteur public ; cette procédure a porté atteinte aux possibilités d’action des organisations syndicales dans le secteur en question.

La Cour a également pris en considération les conclusions du Comité de la liberté syndicale de l’OIT, qui s’était prononcé sur ce cas (cas n° 1569), et également les commentaires de la commission d’experts de l’OIT :

« Le Comité de la liberté syndicale de l’OIT, dans sa décision sur le cas n°1569, élément de preuve du dossier présenté devant cette Cour, a estimé que « le licenciement massif de dirigeants syndicaux et d’employés publics décidé en réponse à la grève du 5 décembre 1990 est une mesure qui peut compromettre gravement l’action des organisations syndicales dans les établissements du secteur public où elles sont présentes » et que, par conséquent, un tel licenciement constituait une violation grave de la convention n° 98 relative à l’application des principes du droit d’organisation et de négociation collective.

Pour sa part, la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’OIT, en se prononçant sur le cas n° 1569, comme établi dans la décision susmentionnée du Comité de la liberté syndicale, a demandé à l’État d’abroger la loi n° 25, “en vertu de laquelle ont été décidés les licenciements massifs, en raison de ce qu’elle porte gravement atteinte au droit des associations d’employés publics d’organiser leurs activités.” »3

Ainsi, se référant aux conclusions du Comité de la liberté syndicale de l’OIT et de la Commission d’experts de l’OIT pour renforcer sa décision, la Cour a déclaré que l’État panaméen avait violé le droit à la liberté syndicale, proclamé dans l’art. 12 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, ainsi que le droit aux garanties judiciaires et à la protection judiciaire ainsi que les principes de légalité et de non rétroactivité de la loi, au préjudice des 270 travailleurs. Pour cette raison, elle a décidé que l’État devait réintégrer les travailleurs à leurs postes et leur payer les montants correspondant aux salaires échus.


1 Convention (n° 87) de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948 (ratifiée par le Panama le 3 juin 1958) ; convention (n° 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949 (ratifiée par le Panama le 16 mai 1966) ; Convention américaine relative aux droits de l’homme (« Pacte de San José de Costa Rica »), 1969 (ratifiée par le Panama le 8 mai 1978) ; Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels « Protocole de San Salvador », 1988 (ratifié par le Panama le 28 octobre 1992).

2 Comité de la liberté syndicale de l’OIT ; Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’OIT.

3 Paragraphes 162 et 163 de la décision.

Texte intégral de la décision