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Cour constitutionnelle, Sindicato Unitario de Trabajadores de Telefónica del Perú S.À y Fetratel, 11 juillet 2002, affaire n° 1124-2001-AA/TC

Constitution du Pérou

Article 3

L’énumération des droits établis à ce chapitre ne porte pas préjudice aux autres droits garantis par la Constitution, ni à ceux de nature analogue ou basés sur la dignité de l’être humain ou sur les principes de souveraineté du peuple, de l’État démocratique de droit et de la forme républicaine de gouvernement.

Article 55

Les traités ratifiés par l’État et en vigueur font partie du droit  national.

Article 56

Les traités doivent être approuvés par le Congrès avant leur ratification par le Président de la République, chaque fois qu’ils traitent des matières suivantes:

1. Droits de la personne; 2. Souveraineté, frontières ou intégrité de l’État; 3. Défense nationale; 4. Obligations financières de l’État.

Article 57, paragraphe 2

Lorsque le traité affecte des dispositions constitutionnelles, il doit être approuvé par le biais de la même procédure régissant la réforme de la Constitution, avant d’être ratifié par le Président de la République.

Disposition finale transitoire n° 4

Les normes relatives aux droits et libertés que la Constitution reconnaît sont interprétées en conformité avec la Déclaration universelle des droits de l’homme et avec les traités et accords internationaux traitant des mêmes matières ratifiés par le Pérou.

Loi Péruvienne sur les procédures du travail (n ° 29497 de 2010)

Disposition supplémentaire n° 10

En vertu de la quatrième disposition finale et transitoire de la Constitution politique du Pérou, les droits sociaux, individuels et collectifs doivent être interprétés en conformité avec la Déclaration universelle des droits de l’homme et avec les traités et accords internationaux en la matière ratifiés par le Pérou, sans préjudice de la consultation des avis des organes de contrôle de l’Organisation internationale du Travail (OIT) et des opinions ou décisions adoptés par les tribunaux internationaux constitués selon des traités auxquels le Pérou est partie.

Pays:
Pérou
Sujet:
Licenciement
Type d’utilisation du droit international:
Interprétation du droit national à la lumière du droit international
Type d’instruments utilisés:

Traités ratifiés;1 traités non ratifiés2

Liberté syndicale/ Procès en bonne et due forme/ Protection contre le licenciement arbitraire/ Interprétation du droit national à la lumière du droit international

Un recours extraordinaire a été présenté devant la Cour constitutionnelle, après que le tribunal de première instance et l’instance d’appel eurent refusé l’action en amparo intentée par les syndicats contre les compagnies Telefónica del Perú S.À.À. et Telefónica Perú Holding S.À. Les plaignants exigeaient que ces sociétés cessent de menacer et de violer les droits constitutionnels de liberté d'association et de travail des employés en vertu de l’application d'un plan de licenciement de masse contenu dans une note de synthèse préparée par la direction des ressources humaines de la première des accusées. À la demande était annexée une liste de 77 travailleurs susceptibles d’être licenciés.

Lorsque l’affaire est arrivée devant la Cour constitutionnelle, de nombreux licenciements avaient déjà eu lieu. La Cour a examiné si les actes de licenciement avaient violé la liberté syndicale et le droit au travail et, à son tour, s’est penché sur la constitutionnalité de la règle qui a permis de tels licenciements.

La Constitution péruvienne reconnaît la liberté d'association à l’article 28, paragraphe 1). La Cour déclare que le contenu de ce droit comprend le droit de chacun à former des organisations pour défendre ses intérêts professionnels et le droit d'adhérer ou de ne pas adhérer à de telles organisations, ce qui implique la protection des travailleurs affiliés contre les actes qui portent atteinte à leurs droits et ont comme motivation réelle leur affiliation à un syndicat ou à une organisation similaire. Pour développer en profondeur le contenu de la loi, la Cour a interprété la convention n° 87 comme suit:

« Conformément à la quatrième disposition finale et transitoire de la Constitution, les droits constitutionnels doivent être interprétés dans le contexte des traités internationaux signés par l'État péruvien en la matière. [...]

L’aspect organique de la liberté d’association est reconnu explicitement dans l’article 2 de la convention n° 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, précisant qu’elle consiste en «le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de s'affilier à ces organisations (...) » [...] et qu’en vertu de l’article 1, paragraphe 2), point b, la protection des travailleurs contre tout acte qui porte atteinte à la liberté syndicale s’étend à « tout acte qui vise à licencier un travailleur ou à lui porter préjudice de toute autre manière en raison de son affiliation à un syndicat ou de sa participation à des activités syndicales (...) » [accentuation de l’arrêt] ».3

La Cour, observant que l’affiliation à un syndicat avait été la cause de l’application de la mesure de licenciement, a établi la violation du droit constitutionnel de liberté syndicale et a ajouté, en appui de sa décision:

« Concrètement, dans le présent cas, la violation de la liberté syndicale a consisté en le licenciement de personnes affiliées aux syndicats susmentionnés, conclusion qui apparaît clairement au vu du contenu du droit de liberté syndicale tel que prévu dans ladite convention sur la liberté syndicale. »4

La Cour a ensuite examiné si la norme sur laquelle se basait le licenciement affectait le droit au travail en établissant qu’en cas de licenciement arbitraire, la seule réparation possible était une indemnisation, sans prévoir la possibilité de réintégration. La Cour a conclu que le droit constitutionnel n’avait pas été respecté parce que ladite norme le vidait de son contenu, ajoutant que l’indemnisation serait une forme de restitution complémentaire si le travailleur en convient ainsi librement, mais qu’elle ne peut constituer la réparation d’un acte inconstitutionnel. C’est pourquoi elle a statué que la réintégration du travailleur doit être la conséquence obligatoire de l’acte nul de licenciement.

Sur ce dernier point, la Cour a fait également référence au droit international afin de montrer que celui-ci fixe des normes minimales de protection et que rien n’empêche que la protection assurée par la législation nationale soit plus favorable et prévoie autant une indemnisation que la réintégration du travailleur:

« La forme de protection ne peut consister qu’en le retour à la situation au moment de l’acte frappé d’inconstitutionnalité; la restitution est une conséquence inhérente à un acte nul. L’indemnisation sera une forme de restitution complémentaire ou substitutive si le travailleur en convient ainsi librement, mais elle ne répare pas un acte ab initio invalide pour cause d’inconstitutionnalité.

Si, comme l’allègue Telefónica del Perú S.À.À., l’article 7, point  du Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels, prévoit la possibilité d’une indemnisation en cas de licenciement arbitraire, il y a lieu de tenir compte du fait que la législation internationale en matière de droits de l’homme énonce des droits minimaux qui peuvent toujours s’accompagner de niveaux de protection plus élevés et qui ne peuvent signifier, dans l’absolu, un amoindrissement des droits consacrés par la Constitution conformément à l’article 4 du Protocole précité5. L’interprétation de ces droits doit toujours se faire dans le sens de niveaux de protection plus élevés. C’est pourquoi la doctrine soutient que les droits constitutionnels doivent être interprétés comme des moyens d’optimisation.

Ce raisonnement peut être étendu au sens de la convention n° 158 sur le licenciement, qui, bien que non ratifiée, prévoit également la possibilité d’une indemnisation en cas de licenciement arbitraire. »6

Sur la base de l’article 2 de la constitution interprété à la lumière de la convention n° 87 de l’OIT, la cour a déclaré  les licenciements nuls et non avenus et a ordonné la réintégration des travailleurs.


1 Convention (n° 87) de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; Protocole additionnel à la convention américaine relative aux droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels, 1988 (« Protocole de San Salvador »).

2 Convention (n° 158) de l’OIT sur le licenciement, 1982.

3 Paragraphes 9 et 10 de l’arrêt.

4 Paragraphe 11 de l’arrêt.

5 Article 4 du Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels: « Il ne peut être admis aucune restriction ou dérogation à l'un quelconque des droits reconnus ou consacrés dans un État en vertu de sa législation interne ou de conventions internationales, sous prétexte que le présent Protocole ne les reconnaît pas ou les reconnaît à un moindre degré. »

6 Paragraphe 12, point c de l’arrêt.

Texte intégral de la décision